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L'enseignement de la servitude

L'idéologie des sujets de bac et leur projet politique

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Une version réduite de ce texte est parue dans le numéro 56 de la revue Panoramiques.

" C'est par l'opinion que les princes règnent en maîtres absolus. "

Marat, Les chaînes de l'esclavage.

A travers les sujets du bac de ces dernières années, un travail de conditionnement, peut-être involontaire mais efficace, est à l'œuvre. Il agit sur les élèves, les professeurs, les familles. Il cherche à répandre, au détour des sujets, une idéologie, celle qui nous gouverne, qui préside aux réformes, et qui se diffuse ordinairement de façon plus insidieuse, au travers des instructions officielles, des déclarations d'homme politiques ou d'industriels, ou dans les manuels scolaires. Ordinairement, ni les projets en cours, ni les évolutions du métier d'enseignant ne sont très lisibles, parce qu'ils s'expriment à travers des institutions où les partenaires sont nombreux et les rapports de force complexes. Ils sont ainsi l'œuvre de compromis, ce qui permet souvent à chacun de croire s'y retrouver, et de ne pas crier au loup. L'influence d'un syndicat, d'un collectif ou d'une association, la stratégie du Ministère ou le bon sens d'un rédacteur en sont souvent la cause. Dans les sujets du baccalauréat en revanche, à cause du secret qui doit les entourer, dans les documents d'accompagnement des programmes également, à cause de leur moindre importance, l'idéologie peut se donner libre cours. Les a priori, les présupposés et les valeurs de leurs concepteurs, et de leurs relais, l'inspection générale notamment, s'y expriment donc plus ouvertement.

Bien sûr, il ne s'agit pas de condamner tout d'un même mouvement. On constate encore, heureusement, une certaine variété dans les sujets de bac par exemple. Certains sont parfois même très intéressants. D'autres en revanche, de plus en plus, donnent sans retenue dans l'idéologie dominante, dans les modes les plus éhontées, le modernisme le plus aveugle. Des sujets indécents, indignes se font jour, à l'instar du brevet des collèges 2000, en français par exemple. C'est ceux-là que nous allons présenter, à travers une sélection évidemment incomplète, mais aussi éloquente que possible, et à la lumière d'entretiens et de documents émanant des principaux responsables actuels : pour que nous sachions vers quoi nous nous dirigeons, et qu'une réaction soit possible ; pour sauver une école de qualité, respectueuse des savoirs, des élèves et des enseignants ; mais aussi, plus largement, pour préserver une démocratie plus que jamais menacée par la pression du secteur marchand et la société du spectacle.

Dans ce type d'analyse, le procès d'intention menace toujours, puisqu'il s'agit de faire apparaître l'implicite d'un texte. La lecture qui sera proposée des extraits donnés au bac de français et du traitement suggéré par leurs sujets ne prétend pas être la seule possible, mais elle s'efforce de respecter les textes, et de prendre en compte, sans illusion ni démagogie, les interprétations que des élèves de 16-17 ans peuvent en donner. C'est à l'évidence ce qui a manqué à leurs promoteurs. Précisons aussi, avant d'entrer dans le vif du sujet, que la subjectivité politique est partout, dans tous les sujets de bac, ceux d'hier comme d'aujourd'hui. Il n'en reste pas moins utile de l'expliciter : que l'on sache au moins quelle est l'idéologie qui les inspire, puisque c'est justement la force d'une idéologie dominante de passer inaperçue. Il est même indispensable de l'interroger, voire de la critiquer, lorsque les sujets ne se contentent plus de guider intelligemment un choix, mais imposent de façon étroite une direction à l'esprit, et lorsqu'ils multiplient faux-sens et contresens sur les textes qu'ils sont censés éclairer...(1)

Le relativisme post-moderne, ou comment noyer le poisson.

Ce qui frappe le plus, au début, c'est l'idée très " post-moderne " que toutes les idées, toutes les positions se valent. Proposer une idée serait un choix arbitraire, autoritaire : seul l'élève serait à même de choisir la thèse qu'il veut défendre, rien ne saurait l'en interdire, et il serait malvenu de le lui reprocher. Cela se perçoit dans quantité de sujets : après une réhabilitation de la lenteur par Pierre Sansot, dans un extrait du livre Du bon usage de la lenteur, on demande au candidat : " Partagez-vous la position qu'expose ici l'auteur en réaction au " train d'enfer " du monde contemporain ? "(2) Il est ici tout à fait possible, voire encouragé, de répondre dans un seul sens, " pour " ou " contre ", là où une réflexion plus fine aurait appelé à tenir compte des arguments de Sansot. L'expression " train d'enfer " semble d'ailleurs presque là pour inviter à caricaturer sa position. Trois ans plus tôt, après un extrait de Apprendre à se reposer, on trouve un sujet voisin : " Ce que Paul Morand dit de la vitesse en général en 1937 peut s'appliquer de nos jours au domaine particulier de la communication et des médias. En vous limitant à ce domaine précis, rédigez à votre choix un éloge ou une critique de la vitesse. "(3) Voilà qui est instructif : après avoir demandé d'étudier les procédés de la persuasion dans le texte, le sujet est évacué, détourné. Ceux qui auraient voulu s'en emparer, en discuter, ne le pourront pas : le texte n'est déjà plus qu'un prétexte. En 1998, après un texte de Bernard-Henri Lévy intitulé " éloge du béton ", on présente le travail d'écriture suivant : " Etayez ou réfutez, à votre choix, l'idée selon laquelle la ville apporte la liberté. "(4)

Les exemples sont innombrables. Il ne s'agit plus d'émettre une opinion nuancée, éventuellement partagée, comme le permettaient les fameuses " discussions " il y a peu de temps encore. Non, le modèle des nouveaux travaux d'argumentation, c'est ce pauvre " pour ou contre " là, indifférent au sujet proposé, c'est le règne du " à votre choix ". Comment s'en étonner, lorsque le président du GTD de Lettres annonce qu'il faut réhabiliter l'opinion et en faire notre principal objet d'études ?(5) " Je voudrais rappeler que notre domaine est très simplement et très clairement celui des opinions et que les opinions ne sont pas affaire seulement d'arguments rationnels, mais engagent des goûts, des prises de position personnelles, des sensations, des images et des représentations. La littérature - y compris la fiction et la poésie -, les textes en général, la langue, son exercice et sa pratique, appartiennent à l'espace des opinions : tout y est affaire non pas de vérité - scientifique -, mais de vraisemblance, donc d'opinion. Nous sommes confrontés à l'espace des opinions. Assumons-le et prenons-le en charge comme tel. "(6) Inutile de poursuivre. La philosophie toute entière du GTD de Lettres est ici exprimée, et ce n'est pas sans conséquences : tout peut se défendre, désormais ! C'est d'ailleurs dit explicitement dans les documents d'accompagnement aux programmes de la classe de seconde : le règne de la démonstration est extérieur au cours de français, il est pour ainsi dire dévolu aux sciences " dures " ; reste à la littérature le pouvoir d' " argumenter, convaincre et persuader ", tous trois étant marqués par une part croissante de subjectivité, mais irréductible. Les rédacteurs y insistent bien, au cas où l'on croirait pouvoir y échapper, prendre notre destin en mains : " dès qu'il s'agit de raisonner sur des valeurs, touchant le bien ou le mal, la justice ou l'injustice, la liberté ou la contrainte, argumenter consiste à justifier la préférence que l'on accorde à telle ou telle fin et que l'on cherche à faire partager ".(7) La liberté, la justice ne seront donc toujours que des vues de l'esprit ? Voilà qui est terriblement connoté… Tout discours est désormais suspect et n'a que de très lointains rapports avec la vérité (puisqu'il sert à " justifier " une préférence préétablie, et qu'il cherche à l'imposer). Plaisantes prémisses…

C'est l'idée même d'objectivité, pourtant essentielle dans la construction de la personnalité, dans le développement intellectuel, que l'on cherche à étouffer à travers les sujets de bac et jusqu'au sein du GTD.(8) Devant ces positions extrêmes, dont les conséquences sont pourtant transparentes, il se trouve quelques voix critiques pour inviter à un peu plus de prudence et de mesure, parfois inattendues : il existe " un problème de rigueur dans la définition ", note par exemple Alain Boissinot. " Plus le champ de l'argumentation s'étend, plus on utilise le terme de façon souple. Plus on élargit la réflexion, en particulier en glissant peu à peu de la problématique des textes à celle des discours, plus la notion d'argumentation perd en précision dans la définition ce qu'elle gagne en extension. "(9) La critique est similaire en ce qui concerne le champ de l'argumentation lui-même. Alain Boissinot estime que " l'argumentation occupe une place problématique entre deux autres pôles, qui sont le pôle de la démonstration et celui de la persuasion ", il cherche à lui ménager une place entre la logique formelle scientifique et la séduction (qui toutes deux excluraient l'échange d'arguments), là où le GTD de Lettres rabat toute argumentation sur la persuasion. Il ajoute : " Il est important de le rappeler, parce que c'est évidemment fondamental sur le plan théorique, mais aussi parce que c'est, en matière didactique, un véritable enjeu. L'une des difficultés principales qu'on rencontre, c'est que, précisément, pour nos élèves, l'existence de ce pôle intermédiaire ne va pas de soi, et qu'ils vivent dans une culture où on en fait volontiers (mais non sans inconvénient) l'économie. " Il n'est pas impossible que la critique vaille d'ailleurs pour lui-même : Boissinot ne change-t-il pas de position, là où il parle tantôt d'" oscillation permanente " entre démonstration et persuasion, et tantôt de " pôle intermédiaire " ? Quoi qu'il en soit, la critique vaut assurément pour le GTD de Lettres, qui avec ses quatre pôles " démontrer, argumenter, convaincre, persuader " et leur définition brouille considérablement la problématique.(10) Comment s'en étonner ? Nous sommes dans une société où la notion d'objectivité est vécue comme artificielle, comme un obstacle à nos désirs, à nos rêves, et particulièrement un obstacle aux désirs et aux rêves de ceux qui décident à notre place. Voilà qui est peut-être logique, mais tragique : sans cette idée, sans cet espoir de comprendre et de se faire comprendre, les rapports humains redeviennent de simples rapports de force.

Nous comprenons en tout cas un peu mieux le choix des travaux d'écriture : puisque tout est subjectif, tout est relatif, tous les discours se valent donc. Aussi ne faut-il rien imposer. Oui mais… si tout se vaut, si tout est soupçonnable, pourquoi ne plus apprendre à " dépasser " une thèse, même dans une optique purement rhétorique ? Même arbitraire, puisque tout l'est désormais, l'exercice est formateur. Là encore, les propos d'un membre du GTD sont éclairants : " L'idéal, pour le collège, déclare Catherine Weinland, est à chercher du côté des pratiques sociales de l'écrit. De plus, et parce qu'un idéal n'est pas toujours possible à atteindre, nous avons attaché beaucoup d'importance à ce que l'élève de collège n'écrive plus dans le vide. Écrire dans le vide, c'est écrire une rédaction, pour un professeur. " On remerciera Mme Weinland pour le professeur… Et d'ajouter : " Nous pensons, au contraire, que tout écrit est destiné à un lecteur. " Le prof n'est donc pas un lecteur - du moins un lecteur " valable " probablement… " Cette dimension-là doit être maintenue, y compris dans le domaine scolaire. Il s'agit donc de déscolariser l'écriture. "(11) Voilà qui est clair… (doit-on craindre la " déscolarisation " de l'école désormais ?) La critique de la " rédaction ", qui touche aussi bien la discussion que le commentaire composé ou la dissertation, repose sur cette critique de l'exercice scolaire comme " fiction ". L'idée est d'ailleurs précisée plus loin : " Il est évident qu'on argumente pour une personne précise, dans une situation de communication donnée. " Et pourtant, quand cette " personne précise ", c'est soi-même ? quand on écrit pour un destinataire à venir, qui n'existe pas encore forcément ? Ces cas ne sont pas à négliger : l'exercice scolaire repose sur cette exigence de développer des potentialités, de ne pas en rester à ce qui existe déjà, par nature conservateur… " Au cœur du discours argumentatif, il y a la relation à autrui, ajoute-t-elle, et cette relation à autrui est sans doute plus importante à construire que tels ou tels modèles préétablis d'argumentation, qui existent rarement dans la vie courante et pour lesquels il faut pratiquement fabriquer les textes censés les illustrer. "(12) La rhétorique est étonnante : qu'est-ce donc qu'un " modèle préétabli " qui n'aurait jamais existé " dans la vie courante " ? D'où viendrait-il donc ? On voit l'idéologie à l'œuvre. N'est-ce pas au contraire la rareté de ces modèles argumentatifs scolaires qui en fait l'intérêt, qui devrait inciter à les soutenir ? Et ne sont-ils pas rares, justement, parce qu'ils permettent une réflexion plus poussée, plus riche que dans la vie ordinaire, où en général ce sont les arguments d'autorité ou ad hominem qui l'emportent ? Faudrait-il se contenter de ces derniers ? Pourquoi " construire " la relation à autrui, alors qu'elle est partout prégnante, et alors que la relation à l'idée est si souvent négligée, si souvent mise au second plan ? Ah ! les ravages de cette fameuse " vie réelle " dont les profs ignorent tout !(13)

Mais revenons à nos sujets de bac. Les conséquences de cette théorie, galvaudée de surcroît, sont apparentes : après un texte où Lamartine défend le droit au travail comme un droit inaliénable de l'homme, que l'Assemblée constituante aurait dû voter, qui seul donne une dignité à l'être humain et qui n'est pas " autre chose que le droit de vivre ", on demande au candidat : " rédigez à l'intention d'un lecteur d'aujourd'hui un plaidoyer en faveur d'un droit de votre choix. "(14) Voilà un magnifique sujet d'invention avant la lettre : quelle légèreté ! quel mépris pour l'élève et le correcteur ! Comment peut-on noter un tel travail ? Faut-il sanctionner le " droit de ne rien faire " ? Non bien entendu. Et le droit de ne pas aller à l'école ? Ce serait de l'abus d'autorité… Et le droit du fort d'écraser les faibles ? le droit d'ignorer les droits ? S'il est interdit d'interdire, il doit être autorisé de tout autoriser… Faut-il insister ? Ce type de sujet permet tous les dévoiements, malgré un sujet essentiel, irremplaçable, peut-être pour cela d'ailleurs : un sujet inimitable… Comment peut-on imaginer un tel exercice : plaider à son tour après un auteur qui plaide un des droits les plus fondamentaux, encore aujourd'hui négligé ? Comment mieux faire comprendre à l'élève que, désormais, tout est permis, tout peut se défendre, tout n'est qu'affaire de mots ? Le cynisme est roi.

Par ailleurs, lorsque un sujet permet - formellement - une réponse plus complexe, un plan dialectique par exemple, il le rend aussitôt impossible, matériellement : " Regarde-t-on les informations à la télévision comme on regarde un spectacle ? "(15) Voilà un très bon sujet a priori, mais le rapport de force tel qu'il apparaît dans le sujet est inégal : les positions d'un Bourdieu ou d'un Debord ne sont ni citées ni exposées, alors qu'on donne à étudier aux élèves leur réfutation par deux " intellectuels " plus médiatiques (Luc Ferry et André Comte-Sponville, au titre du livre éloquent : La sagesse des modernes). Comment, dans ces conditions, les candidats pourraient-ils quitter leurs a priori, et répondre véritablement à la question ? Mais à vrai dire, cela est moins gênant si l'on considère que c'est Pierre Bourdieu et Guy Debord qui sont remplis d'a priori, pleins d'une exécrable mauvaise foi… Peut-être, à travers ce sujet, fallait-il laver l'affront qu'ils avaient commis ?(16) Mais dans tous les cas, était-ce bien aux candidats au baccalauréat de défendre la cause de quelques intellectuels médiatiques, d'être envoyés sur le front d'une polémique dont ils ignoraient presque tout ? Leur diplôme, si dévalué soit-il, ne peut-il s'acquérir qu'à ce prix ?(17)

La démagogie, cheval de Troie d'une idéologie libérale-libertaire

Dès lors, la démagogie ne connaît plus de limite. On propose aux élèves un extrait de Jeannot et Colin de Voltaire, un texte terriblement actuel, terriblement pertinent, où un écrivain et un précepteur tentent de convaincre des parents de ne pas instruire leur enfant, de le confier aux femmes, plus plaisantes parce que moins déformées par les connaissances… " S'il sait les moyens de plaire, il saura tout " conclut l'ami écrivain, ami des nouveaux programmes. Malgré des questions préalables portant sur l'ironie du texte, rien n'est fait dans la question finale pour éviter à l'élève de défendre cette position : " " On étouffe l'esprit des enfants sous un amas de connaissances inutiles " s'écrie le gouverneur. Soutiendrait-il, selon vous, la même opinion aujourd'hui ? "(18) On invite évidemment les candidats à réfléchir sur leur éducation, à montrer l'actualité de ce texte, mais on ne demande pas explicitement dans quel sens… On permet même qu'il défende la position du précepteur... On légitime donc la démagogie. De là à penser que les concepteurs des sujets partageaient l'opinion de ces deux pédagogues " réformistes ", il n'y a qu'un pas, qu'il est difficile de franchir mais qui est troublant.

Sur le même thème, on a demandé aux candidats du bac 1999 de plancher sur un poème de Victor Hugo où il évoque… son horreur des mathématiques ! et plus généralement d'une certaine pédagogie (" on n'instruira plus les oiseaux par la cage "). Au finale, voici le travail d'écriture proposé aux candidats : " Faites, à votre choix, l'éloge ou le procès d'un enseignement sans contraintes. "(19) Formidable " à votre choix ", une fois de plus, surtout après un texte qui comportait éloge et blâme, où l'utopie d'un enseignement à venir succédait à la dénonciation d'anciennes pratiques… Comment est-il possible, sans caricature, ou sans une maîtrise extrêmement fine de la concession, de répondre à un tel sujet ? Comment est-il possible, avec une question aussi vague, de n'étayer qu'une seule thèse ? Les élèves ont répondu : soit contestation, soit flatterie, ils ont donné dans la démagogie. On apprend mieux seuls, regardez : la guitare, la batterie… Ou encore : c'est parce qu'il y a trop (ou pas assez) de discipline dans les classes que l'on est dégoûtés... Quelques autres, bien rares, ont eu l'idée et les moyens de tenir le discours officiel sur le sujet, très à la mode : dénoncer le cours magistral, vanter la participation des élèves… Mais pour peu qu'on ait lu quelques rapports de la Table ronde européenne, on trouve une autre réponse à ce sujet, encore meilleure, peut-être la réponse attendue finalement (mais ce n'était pas dans les corrigés de l'inspection, la Commission européenne travaille mal) : " Le monde de l'éducation semble ne pas bien percevoir le profil des collaborateurs nécessaires à l'industrie. (…) L'éducation vise à apprendre, non à recevoir un enseignement. "(20) Vous ne percevez pas bien la distinction ? C'est que vous n'avez pas encore été touché par la propagande de la Commission. L'OCDE est peut-être plus claire : " Il est plus important d'apprendre à apprendre que de maîtriser des prétendus " faits ". Il faut encourager la possession d'un ordinateur. Les étudiants doivent apprendre à utiliser les services de réseau de la même manière qu'ils utilisent le téléphone. "(21) Ce n'est pas plus clair ? Claude Allègre vous l'expliquera mieux : " Le service public d'éducation va avoir désormais un concurrent redoutable (…) c'est l'internet. L'internet qui éduquera et contrôlera sans punir, qui aidera chacun à son rythme, qui s'affranchira des distances et du temps, permettant aussi bien l'enseignement à distance que l'éducation tout au long de la vie. Ce système ne sera pas sans présence humaine. Il sera au contraire animé, guidé, organisé par les enseignants, prêts à répondre au questionnement des élèves et à leur confectionner un programme sur mesure. Bref, nous aurons là un mode d'enseignement associant les racines de notre culture dans les contenus, la modernité dans les méthodes. "(22) N'est-ce pas fantastique, l'enseignement sans contrainte, raconté comme ça ? Voilà en tout cas un exemple des convergences possibles entre ces idées qui sont dans l'air du temps : l'utopie d'un " enseignement sans contraintes " rejoint l'utopie de l'enseignement à distance.(23) Et c'est exactement l'utopie qu'essaient actuellement de concrétiser tous les industriels de la planète, pour pouvoir faire payer à leurs employés leur propre formation continue " du berceau au tombeau ", comme ils le disent si joliment…(24)

Nos sujets de bac sont donc extrêmement poreux à l'idéologie dominante. Ils apparaissent souvent comme des signes avant coureurs : le thème de l'éducation par exemple est très présent dans les nouveaux programmes de français, c'est un des (rares) sujets proposés pour les textes argumentatifs depuis les instructions officielles d'août 1999. Et c'est vrai que c'est un sujet autrement plus important que la contestation politique et philosophique au siècle des Lumières, thème qui plaît pourtant aux élèves ! Ce nouveau sujet, très à la mode dans les IUFM, ne permet-il pas de remettre en cause, à peu de frais, l'enseignement des professeurs ?(25) En effet, sans remettre en question l'intérêt de ce sujet, on peut se demander si sa faveur actuelle n'a pas une autre raison : encore et toujours faire porter le soupçon sur le professeur, à l'autorité abusive…

Que penser également de ces nombreux sujets sur le rôle des livres, des romans, de la lecture ? Par exemple : " Selon Ariste, " L'école du monde […] instruit mieux " " que ne le fait aucun livre ". Etayez ou réfutez cette pensée en proposant des exemples précis. "(26) ou encore : " " La matière première de l'art est inépuisable. Elle se rencontre partout. " Dans quelle mesure pensez-vous que la vie quotidienne puisse être le point de départ d'une œuvre d'art ? "(27) Ce sont des thèmes classiques au baccalauréat, mais dont le traitement suggéré a changé. Ne peut-on voir là l'expression d'une entreprise plus globale, qui vise à réduire la part de la littérature au lycée, sous couvert d'en élargir le champ ?

Alain Viala, dans un numéro de L'Ecole des Lettres du mois d'août 1999, déclare à ce propos : " Aujourd'hui, si l'on veut sauver - je déteste ce terme - la part de la littérature au lycée, il ne faut absolument pas rester sur une position défensive. Plus la littérature correspond à une conception restreinte, plus elle meurt. "(28) On reconnaîtra au passage l'argumentation classique des néolibéraux (qui utilisent d'habitude l'exemple des dinosaures) : s'adapter ou mourir… Les variantes sont nombreuses, incessantes : " un temps de glaciation dans le statu quo serait néfaste ", ajoute-t-il justement, quelques mois plus tard.(29) Et Alain Viala de poursuivre : " le modèle littéraire qui s'est imposé au lycée ", c'est " le modèle d'une littérature d'élite à forte visée esthétique, phénomène apparu dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cela ne s'applique donc ni à Diderot, ni à Voltaire, moins encore à Molière. " Puis il ajoute, pour appuyer son analyse d'une observation sociologique qui se veut définitive : " Il faut se rappeler que cette littérature restreinte est socialement marquée " ; mais il ne précise pas davantage : le mot " bourgeois " est trop marqué lui aussi, et M. Viala trop prudent… Que penser alors de cette " ouverture dans les conceptions de la littérature " ? Ne faut-il pas la soupçonner aussitôt quand s'ensuivent des exemples qui mettent à égalité Jean-Jacques Rousseau, Annie Ernault et Christine Angot ?(30)

A travers toutes ces innovations, les nouveaux programmes, les sujets de bac, une unité se dessine. Dans la dégradation du plan dialectique en sujet d'invention, dans la priorité à l'habileté rhétorique et les références proposées (ici Diderot, Voltaire et Molière ; voire Angot préférée à Rousseau ; ailleurs La Fontaine, La Bruyère et Fénelon) et même dans cet élargissement des conceptions de la littérature, le modèle proposé est étrangement " ancien régime " (ou alors d'un modernisme frénétique, bien pratique pour brouiller les pistes et augmenter les recettes des grandes maisons d'édition)… Faut-il y voir un signe ? Comme les derniers sujets du bac l'indiquent, il ne s'agit plus de promouvoir l'autonomie d'une pensée qui permet la révolte (Hugo et Zola cantonnés à des sujets finalement secondaires, et Lamartine noyé par la marée du consensus), mais seulement la ruse et l'invention du petit maître, de l'homme apparemment résistant mais finalement soumis. Ce n'est pas étonnant d'ailleurs, Alain Viala l'explique lui-même : il faut réhabiliter les formes d'écriture antérieures à la seconde moitié du XIXe siècle. Sauf qu'il oublie que cette époque est essentielle dans l'histoire des lettres et des arts, que ce n'est pas une date charnière sans raison : c'est le moment où la littérature réussit enfin à échapper à l'emprise des pouvoirs environnants, où elle réussit à imposer ses propres valeurs, ses propres finalités ; c'est le moment où les champs artistique et littéraire acquièrent leur autonomie par rapport aux champs politique, économique et religieux : ce n'est plus un prince ou un négociant qui commandent une œuvre ; c'est l'écrivain, l'artiste qui impose ses priorités.(31) A travers toutes les valeurs prônées par le GTD de Lettres, et par les sujets de bac, il s'agit donc de revenir à un modèle des lettres dont les écrivains ont mis des siècles à se débarrasser : il s'agit de revenir à une littérature soumise. Est-ce innocent ? En tout cas, voudrait-on préparer les citoyens à n'être que les valets de l'économie triomphante, qu'on ne s'y prendrait pas autrement…

De ce point de vue, et quels que soient les sentiments que l'on peut éprouver vis-à-vis de Christine Angot, la préférence qui lui est accordée au détriment de Jean-Jacques Rousseau est emblématique : c'est l'incarnation même de la révolution culturelle réalisée, c'est la revanche des dictatures invisibles, débarrassées de leurs garde-fous - la soumission à l'inconscient, aux marchés, à la société du spectacle… Les passions triomphent de l'interdit fondateur, l'impertinence se substitue à la vigilance critique et à la révolte, la société du spectacle renverse la société réelle. C'est l'aliénation la plus parfaite, car maquillée en subversion.

Les nouveaux programmes eux-mêmes illustrent bien cet abandon de l'idéal d'autonomie, à leur façon et malgré les déclarations contraires : en argumentation, plutôt qu'apprendre à dépasser les idées reçues, à tendre vers l'universel à partir du particulier, on propose d'initier au registre polémique (comme si les élèves ne le connaissaient pas déjà assez, n'en avaient pas suffisamment d'exemples autour d'eux, à commencer à la télé !)(32) et on propose de former à l'éloge et au blâme... Cette partie du nouveau programme mérite qu'on s'y arrête. Outre qu'à l'état " pur " ces formes de l'éloge et du blâme ne sont pas bien riches ni intéressantes, elles renouent avec la rhétorique de cour : s'agit-il de produire des poèmes à gloire des nouveaux rois, de fustiger les princes félons, ou tel ou tel mauvais vassal ? Au cas où l'on en douterait, les documents d'accompagnement le soulignent : il faut réhabiliter toutes les formes de l'ancienne rhétorique, le délibératif, le judiciaire mais aussi l'épidictique, déjà illustrée par les sophistes au Ve siècle avant JC. Habilement, l'étude de l'éloge et du blâme est rendue optionnelle (BO du 31 août 2000) mais, outre qu'elle réapparaît à plusieurs reprises dans les perspectives complémentaires sous le terme d'épidictique, elle est constamment citée dans les documents d'accompagnement, comme quasiment incontournable et comme perspective obligée pour… faire de la poésie, par exemple !(33) Certes l'épidictique existe encore, ce n'est pas forcément cette pratique désuète que l'on pourrait croire, certes elle s'exprime dans les colonnes des journaux sportifs, comme on nous le donne constamment en exemple... mais est-ce vraiment cela, la mission du lycée ? Former les futurs panégyristes des dieux du stade, de la blonde voisine ou de Vivendi ?(34) Que L'Equipe constitue la référence constante sinon obligée des nouveaux concepteurs de programme ne laisse d'ailleurs pas de surprendre (35) : outre tout ce qu'elle a de démagogique, il faut noter que ce journal a joué un rôle étrange dans " l'épopée " de 1998, que l'on voudrait nous voir célébrer en classe : celui d'opposant… Aimé Jacquet a-t-il cessé de rappeler les nombreuses calomnies, rumeurs, que L'Equipe a véhiculées à son endroit ? (pardon, les pamphlets, satires, réquisitoires, diatribes, caricatures, persiflages et autres formes de blâmes qu'il offrait à notre bon plaisir) N'est-il pas avéré que la victoire de 1998 ne devait rien à ce journal, bien au contraire ? A l'heure où l'on nous demande de pratiquer éloges et blâmes, arguant qu'ils se pratiquent dans L'Equipe, cela doit nous interroger : non seulement on veut endormir nos élèves en leur faisant croire qu'ils sont " les champions ", mais en plus on ne leur donne que des contre-exemples à suivre… Car argumenter, ce n'est pas louer ou flétrir, c'est peser l'adhésion à telle ou telle idée, c'est mesurer, qualifier un attachement ou un rejet. N'est-ce pas d'ailleurs le plus utile, pour des élèves qui se contentent bien trop souvent d'affirmer, à l'instar des animateurs télé ou des acteurs chargés de promotion, et qui ne savent pas douter, pas suffisamment exercer leur esprit critique, avec nuance et pondération ?

Et Boissinot de pointer le véritable problème de ces programmes : " Il ne faudrait surtout pas que s'organisent d'un côté une approche rhétorique et de l'autre une approche littéraire : tout l'enjeu, c'est de faire communiquer les deux domaines ", " l'argumentation occupe pratiquement la moitié du champ des discours, en admettant que son ambition hégémonique veuille bien s'arrêter là ! " ; et de conclure : " il n'y a pas de frontière infranchissable entre rhétorique et littérature. "(36) Souhaitons-le, même si l'image est étonnante (il existe donc une frontière, mais elle est franchissable ; de là à dire qu'elle est mouvante, voire inexistante)... Espérons simplement qu'en franchissant la frontière, la rhétorique n'annexera pas trop la littérature…

Car l'enjeu est bien là, tout le monde est d'accord sur le principe : il s'agit de permettre aux élèves de donner du sens à ce qu'ils font. Seulement, on répète aux enseignants qu'il ne faut pas le leur apporter : il faut que les élèves le " construisent " eux-mêmes. C'est une jolie idée, mais largement utopique, irréalisable dans les conditions actuelles, et surtout dans le cadre d'une éducation " humaniste " : comment parcourir en une scolarité, plus ou moins seul, tout le chemin parcouru par l'humanité en des milliers d'années ? Il y a là un soupçon dangereux porté sur l'acte enseignant, sur l'autorité du professeur, un soupçon qui rejoint le discrédit dont souffrent l'Etat et toute forme d'autorité. Beaucoup de professeurs eux-mêmes partagent cette inquiétude, belle inquiétude quand il s'agit de se légitimer à soi-même son autorité, mais excessive souvent, comme si toute autorité était illégitime, comme si c'était tyrannie de disposer d'un savoir et de prétendre le transmettre.

L'air est connu. Prétendre qu'on ne transmet pas le savoir, que seuls les virus et les maladies se transmettent, n'en est que l'aboutissement logique.(37) Le plus inquiétant est de voir ce soupçon arriver jusque dans les documents officiels. Dans un fiche consacrée à l'histoire littéraire et culturelle et à sa " nouvelle " méthode (la contextualisation…), le professeur se voit une fois de plus soupçonné de faire le plus autoritaire des cours magistraux : " Il s'agit d'une démarche intellectuelle, précise-t-on d'emblée : un exposé des données de contexte y convient donc moins bien que la réflexion et la recherche des élèves eux-mêmes. " Ce n'est donc plus au professeur de donner des repères. Serait-ce à l'élève de le faire seul, de s'orienter de lui-même ? Et le document de " justifier " la démarche : " Il convient en effet de leur faire discerner que le contexte ne consiste pas en un rapprochement arbitraire et vague, que chacun pourrait opérer plus ou moins à sa guise, mais dans l'établissement de relations précises ".(38) Tout y est dit avec une impudence qu'on ose à peine voir : n'est-ce pas le professeur qui est décrit ici, " exposant " son savoir, et pour le justifier s'amusant à faire des comparaisons " arbitraires et vagues, que chacun pourrait opérer " ?

Dans le même document, la fiche 4 (" production et singularité des textes ") recommande " d'éviter deux écueils " pour " interpréter correctement ". Mais n'allons pas nous imaginer que le risque de produire des interprétations erronées concerne cette fois l'élève : " Le psittacisme consiste à croire que le texte aurait un sens et un seul, fixé une fois pour toutes par la volonté de l'auteur, que le professeur connaîtrait et redirait, et que l'élève à son tour devrait seulement mémoriser et répéter vaille que vaille. "(39) Faut-il préciser que la définition du dictionnaire n'est pas exactement la même ? Preuve qu'on se moque bien des élèves finalement, le mépris les touche à leur tour : ils sont supposés incapables de tirer parti d'un cours, d'une pensée autre, qu'ils se contenteraient d'apprendre et de répéter comme un évangile, sans le moindre esprit critique. Mais à quoi bon enseigner alors, si le professeur n'a plus le droit de rien transmettre ? Comment imaginer que l'enseignant soit soupçonné d'arbitraire, mais pas l'élève ? Et le document d'accompagnement de conclure : " On sombrerait alors dans les pires méfaits : les interprétations abusives instaurent le règne de l'arbitraire, et le psittacisme celui de la soumission à cet arbitraire. " Incroyable affirmation : voici les élèves aliénés par des professeurs dictatoriaux, et délivrés de leur oppression par la vertu d'un document officiel…

L'état d'esprit de ces textes est clair : les enseignants doivent se méfier davantage d'eux-mêmes, faire encore leur autocritique, chercher à purifier leur pratique quotidienne de ce totalitarisme qui leur est intrinsèque, car il existe toujours des professeurs qui persistent à étudier l'arbitraire d'un auteur, qui cherchent à dépayser l'élève, à lui ouvrir des horizons, à l'arracher à la dictature du quotidien. Heureusement, la pédagogie officielle veille. Le rapport annexé à la Loi d'orientation déclare, sous le titre " L'élève au centre du système éducatif " : " L'école doit permettre à l'élève d'acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité. "(40) Et une circulaire de rentrée de commenter : " L'obstacle majeur auquel se sont heurtées jusqu'à présent la plupart des réformes n'a-t-il pas résidé dans la difficulté, voire la réticence [des enseignants], à reconnaître et exploiter davantage les facultés d'auto-apprentissage des élèves, et ce, à tous les niveaux de l'enseignement ? Ce facteur conditionne de manière décisive la réussite des réformes, aussi bien celles déjà partiellement engagées que celles à mettre en œuvre. "(41) On aura reconnu l'idée maîtresse de la Commission européenne, soufflée par l'OCDE et la Table ronde européenne des industriels, reprise par Philippe Meirieu et Claude Allègre : " apprendre à apprendre ", qui est, comme on l'a vu, " plus important " que " maîtriser de prétendus " faits " "…

Nous en sommes donc là : puisque tout se vaut, puisqu'il ne faut rien enseigner, les opinions de l'élève valent celles du professeur. Il n'est pas un enseignant qui n'ait fait cette expérience : alors qu'il cherchait à expliquer une idée à un élève, à justifier une interprétation - oh, pas bien audacieuse, pas bien originale, il n'oserait pas imposer son arbitraire - se voir répliquer : " mais non, Monsieur, moi je vois les choses comme ça " sans que l'élève aille plus loin, sans qu'il essaie de convaincre à son tour… Bien entendu, il ne s'agit pas de prétendre que l'enseignant a toujours raison, mais il y a quelque chose de dangereux, de totalitaire dans ce " tout se vaut " brandi comme un droit, et jusque dans ces discours où l'on revendique parfois plus de " démocratie " à l'école, comme si cela avait un sens…(42) Cette idée de l'autorité comme un abus de pouvoir est une idée dans l'air du temps, elle a infiltré toute la société, et c'est ainsi qu'on laisse aujourd'hui le champ libre à toutes les influences extérieures à l'école, autrement moins soucieuses de légitimité, et pour cause, autrement moins légitimes… Le danger est donc grand : à force de vouloir renverser les autorités les plus apparentes, celles qui se sont données la peine de se légitimer, on livre le peuple à toutes sortes d'autorités plus insidieuses, plus suspectes. Est-ce cela la démocratie ?

Une pincée de moralisme, ou comment habiller le cadavre.

Pourtant cette idéologie relativiste, ce " tout se vaut ", ce " tout est subjectif " qui constituent le fond informulé de beaucoup d'opinions, présentent de notables exceptions. C'est là que l'idéologie néolibérale trahit ses contradictions, son hypocrisie. On trouve en effet partout, depuis les sujets de bac jusqu'aux programmes, toute une palette de bons sentiments affichés, de niaiserie bien pensante et d'éloge de la différence. Il s'agit pour le libéralisme de masquer son fond d'immoralité, de gommer les conséquences les plus visibles des déréglementations, de la solitude et de la misère qu'il impose. Toujours est-il qu'une brèche se fait dans son discours soudain : tout ne se vaut pas... Quand il s'agit de paix civile, de choses " importantes ", on n'oublie pas d'" inculquer " ce qu'il faut. C'est d'ailleurs un joli contresens : comme si c'était en imposant un modèle qu'on réussissait à transmettre une " morale "… Voilà qui est révélateur d'un triple mépris : mépris pour l'éthique d'abord, dont les impératifs doivent faire l'objet d'un libre consentement, être respectés pour eux-mêmes, sans quoi ils se corrompent ; mépris pour le savoir ensuite, qui n'est certes pas arbitraire mais pas " naturel " lui non plus, et qui ne se transmet donc ni autoritairement (comme les pédagogues le dénoncent régulièrement avec une insistance suspecte) ni " tout seul " (comme le suppose la pédagogie officielle) ; mépris pour l'élève enfin, à qui l'on n'impose finalement que les seules valeurs utiles à la société.

" " Tant qu'un homme ne s'intéresse qu'à soi […], il s'intéresse à bien peu de choses. " Etes-vous de cet avis ? " interroge l'énoncé d'un travail d'écriture, après avoir donné à lire un texte d'Hippolyte Taine.(43) Qu'y a-t-il à dire, sur un tel sujet ? Comment y éviter le moralisme le plus plat ? Au mieux peut-on faire un éloge paradoxal de l'individualisme, comme fondement de la vie sociale. Le texte semblait y inviter d'ailleurs, qui affirmait : " contre l'instinct égoïste, l'instinct social est faible. - C'est pourquoi il est dangereux de l'affaiblir ; l'individu n'est que trop tenté de préférer sa barque au navire ; si l'on veut qu'il y monte et qu'il y travaille, il faut lui fournir des facilités et des motifs pour y monter et pour y travailler ; à tout le moins, il ne faut pas lui en ôter. " Et l'extrait de s'achever sur le rôle de l'Etat : " à lui d'agréer ou d'imposer le bon statut, la forme sociale la plus propre à fortifier l'instinct social, à entretenir le zèle désintéressé, à encourager le travail volontaire et gratuit. " Y a-t-il à commenter ? Voilà une conception bien libérale du rôle de l'Etat (" encourager le travail volontaire et gratuit "), et une façon pour le moins particulière de concevoir " le zèle désintéressé "… En tout cas, l'égoïsme ne semble dangereux que pour la société, et pas pour l'individu. Etonnante utilisation d'un texte politique : la générosité doit avant tout être utile.

Le sujet suivant le prouve d'ailleurs, de façon plus explicite encore : " Peut-on dire que la tolérance à l'égard de la différence est non seulement une attitude morale, mais aussi un comportement utile à la société ? "…(44) La tolérance n'intéresse ici que par ses conséquences pratiques, que pour la paix sociale et le profit que l'on peut en tirer… Terrible présupposé par ailleurs : comme si organiser la vie en société, ce n'était pas le but même de toute éthique… Voilà la morale elle-même instrumentalisée : le respect n'est plus une fin, c'est un moyen.

" Poil de Carotte n'est pas soutenu par son grand frère Félix et sa grande sœur Ernestine. Que pensez-vous de leur attitude ? Quel doit être selon vous le rôle d'une sœur ou d'un frère aîné dans une famille ? " a-t-on demandé cette année au brevet des collège.(45) Quelles réponses attendait-on ? " C'est pas bien, ça se fait pas ! " peut-être… Nous ne sommes pas loin, en tout cas, des devoirs d'éducation civique que l'on pouvait trouver il y a un siècle : " Enumérez les devoirs que vous devez à l'égard (sic) de votre père et de votre mère. "(46)

Les bons sentiments, la " différence ", la " tolérance " se retrouvent partout, jusque dans les nouveaux programmes. C'est le second et dernier thème proposé par les instructions officielles d'août 1999 pour l'argumentation en seconde (la différence, l'altérité). Parmi les quatre " problématiques " proposées en août 2000 pour la classe de Première, la première porte sur la " tolérance ", et la troisième s'intéresse à " l'égalité " (sous l'angle proposé de l'esclavage et de la relation homme-femme). C'est dire que cette question de la différence occupe les esprits.

Après un extrait des Aventures de Télémaque de Fénelon, on propose un premier travail d'écriture : " Rédigez une lettre ouverte aux chefs d'Etat afin de les convaincre de travailler pour la paix. "(47) Comment faire passer les bons sentiments pour de la politique… Mais qu'imagine donc l'inspection : que la parole suffit à convaincre ? qu'une lettre ouverte est comparable à un roman d'apprentissage tel que Les aventures de Télémaque ? que nous sommes tous les précepteurs de nos chefs d'Etat ? Les enseignants doivent-ils maintenant accréditer de telles illusions ? Le deuxième travail d'écriture n'est pas moins intéressant : " Les arguments de Fénelon en faveur du roi pacifique vous paraissent-ils utopiques de nos jours ? " Evidemment, il sera bien vu de répondre que non, que la construction européenne nous protège désormais de tous les maux... Mais mieux encore, l'élève attentif peut suivre Fénelon dans son éloge du roi pacifique : " Il retranche le faste, la mollesse, et tous les arts qui ne servent qu'à flatter les vices ". Est-ce que ce ne sont pas de sains principes, en effet ? " Ce peuple laborieux, simple dans ses mœurs, accoutumé à vivre de peu, gagnant facilement sa vie par la culture de ses terres, se multiplie à l'infini ", et Fénelon de conclure : un conquérant voisin trouverait ce peuple " invincible par sa multitude, par son courage, par sa patience dans les fatigues, par son habitude de souffrir la pauvreté "... La célébration de la prodigalité, la critique des passions, permet donc, au prix de quelques contresens, une lecture néolibérale : dégraissons, rationalisons, et tout ira mieux… Est-ce l'éloge que l'on veut faire faire aux élèves ? Voilà en tous cas comment préparer les élèves à l'idée que la pauvreté est utile et nécessaire, et que la paix n'exclut pas forcément de préparer la guerre, une guerre " froide ", " chirurgicale ", " rationnelle ", une guerre économique ou technologique.

L'essentiel en tout cas, c'est que les futurs citoyens aient confiance dans leur pays, dans l'Europe. Les ajustements structurels ne pourront se faire que si les esprits sont confiants. Telle est la conclusion explicite du Livre blanc sur l'éducation et la formation de la Commission Européenne : " La civilisation européenne est ancienne et complexe. Elle est aujourd'hui partagée entre une soif de recherche et de connaissances très forte, héritage d'une histoire qui a vu l'Europe accomplir la première révolution technique et industrielle et ainsi changer le monde, et une très forte demande de stabilité et de sécurité collective. Cette aspiration est parfaitement compréhensible, sur un continent si longtemps ravagé par les guerres et déchiré par les conflits politiques et sociaux : mais elle peut aller jusqu'à nourrir des réflexes conservateurs à l'égard du changement. Et pourtant, cette ère de transformation est une chance historique pour l'Europe, parce que ces périodes de mutation, dans lesquelles une société accouche de celle qui lui succédera, sont les seules propices à de profondes réformes permettant de faire l'économie de changements brutaux. "(48) On comprend dès lors l'importance et l'intérêt politique de tels sujets…

De l'éloge de la différence à l'éloge de la paix, du moralisme à la morale sociale, la mission de l'école est claire. Il s'agit désormais, avant tout, de " pacifier les esprits ", tisser du lien social… et des illusions.

Argumenter pour tisser du lien social.

C'est l'un des thèmes préférés de Philippe Meirieu, comme le rappelle un de ses récents ouvrages : L'école ou la guerre civile… A l'écouter, la principale ambition de l'institution doit être de canaliser la violence des " jeunes ". Il s'agit de la détourner, de la divertir par le verbe, et non plus de la comprendre, d'y répondre : " Aujourd'hui, l'école doit remplir une double mission : primo, la transmission des savoirs fondamentaux qui, c'est vrai, ne sont plus transmis ; secundo, la formation de la personne, afin d'éviter la généralisation de la violence comme mode d'expression. Ce qui caractérise un certain nombre de jeunes, c'est que, lorsqu'ils ne sont pas d'accord, ils tapent. Or la spécificité de la démocratie, c'est de discuter en cas de désaccord plutôt que de recourir à la force. "(49) Tout le mal est là : plutôt qu'analyser le désaccord et le conflit comme un mal plus profond, plus complexe, on en fait une posture existentielle ou politique, rentrant en cela complètement dans le jeu desdits " rebelles ". On ne cherche plus à résoudre le divorce entre eux et l'école, entre eux et la société, mais seulement à le policer. On les abandonne donc, littéralement, à leur révolte. On les fige dans l'exclusion. Et on dissocie alors, au passage, l'éducation et l'enseignement - comme si la meilleure façon de lutter contre la violence n'était pas de donner du sens à la vie de chacun, d'aider à la comprendre et à mieux appréhender le monde qui nous entoure ; comme si le savoir n'était pas la meilleure voie pour " s'exprimer "…

Devant l'abandon du premier objectif, " transmettre les savoirs fondamentaux ", le second, " la formation de la personne " devient le plus important, même s'il n'est pas encore explicitement cité en premier. Pour preuve, on peut lire dans les documents d'accompagnement des programmes de seconde ce premier objectif de l'apprentissage de l'argumentation, page 14 : " faire maîtriser [aux élèves] l'enjeu fondamental de l'argumentation qui, donnant à la parole une chance contre la violence, est la régulation des conflits ". Comment faire plus cynique, plus désabusé ? Voilà qui est donc dit : argumenter, ce n'est pas vraiment rechercher le vrai, partager une conviction, une découverte, c'est un moyen de " réguler les conflits "… L'effet second, cette chance de renouer des liens, qui est certes important mais qui est la conséquence d'un véritable échange, d'une compréhension mutuelle, passe désormais au premier plan. Une telle théorie dénature l'acte même de la communication orale ou écrite : derrière toute intervention, on serait alors fondé à soupçonner la manœuvre, la finalité pratique... Comment atteindre la paix recherchée, la confiance retrouvée, dans ces conditions ?

Mais cette illusion est désormais bien ancrée. A l'issue d'une fable de La Fontaine où un serpent essaie en vain de convaincre l'homme de son innocence, et donc qu'il l'épargne, on demande au candidat de commenter la leçon que le fabuliste en tire : " " Mais que faut-il donc faire ? - Parler de loin, ou bien se taire. " Les mots seraient-ils donc sans pouvoir contre la force ? Exposez votre point de vue dans un développement argumenté. "(50) L'ironie veut qu'en mourant à la fin du poème malgré le soutien de toutes les espèces animales opprimées par l'homme, le serpent prouve en effet la puissance du langage pour établir la vérité et la justice, mais aussi son impuissance face à la force physique, face aux pouvoirs politiques et sociaux (l'homme est en effet explicitement comparé aux " grands ", que " la raison offense " et qui " se mettent en tête que tout est fait pour eux "). Evidemment, les élèves ne se sont pas laissés prendre au discours qu'on attendait d'eux, et n'ont pu que rappeler la difficulté de se faire entendre, l'inégalité du rapport de force, même en prétendue démocratie. Mais on ne cherche pas impunément à manipuler, et certains effets pervers sont également apparus : comment pouvait-on demander, à des adolescents de cet âge, une réflexion dépassionnée sur le sujet ? Comment pouvaient-ils percevoir, derrière l'apparente impuissance du verbe, des raisons d'espérer, ses quotidiennes victoires, insensibles, insuffisantes souvent, mais bien réelles ? Il est donc arrivé ce qu'il devait arriver : beaucoup de copies ont sombré dans un pessimisme parfois bien noir, ou pire, à mon sens, ont essayé de prouver que les mots blessaient parfois plus que les coups, et pour plus longtemps… bref, en sont arrivées à préférer le pouvoir de la force ! C'est une belle contre performance pour les concepteurs de programme, et pour nos idéologues en chef… mais une contre performance à relativiser : pour le pouvoir politique, ce n'est pas si grave qu'on ne croie pas au pouvoir du verbe ; au contraire, le désespoir et le cynisme sont bien préférables car ils ne remettent rien en cause. L'essentiel, c'est que la violence, la révolte soient évitées ou marginalisées. Tant que l'on doute du pouvoir des mots, la révolte ne sera jamais inquiétante, jamais radicale. Et puis, il y aura toujours bien un rappeur ou un footballeur pour montrer que l'on peut réussir, avec ou sans les mots. Atroce façon, paradoxale, involontaire, mais efficace, de tuer dans l'œuf l'espoir placé dans le pouvoir du langage, dans la pensée.

Preuve qu'il s'agit d'une préoccupation majeure, on trouve cette problématique dans bien d'autres sujets encore, mais tout aussi détournée de ses enjeux véritables. " " Pourquoi me tuez-vous ? " Imaginez l'argumentation que développerait doña Inès pour plaider sa cause. " demande-t-on à d'autres candidats.(51) Dans l'extrait proposé de La reine morte, de Henri de Montherlant, ces mots " pourquoi me tuez-vous " sont imaginaires, simplement rapportés au roi par le Premier ministre, pour lui montrer qu'il serait facile de répondre à l'innocente accusée : " Pourquoi ne vous tuerais-je pas ? "… On trouve le même présupposé : les mots auraient un pouvoir contre la force ; ils pourraient s'opposer aux intérêts politiques qui sont en jeu dans le mariage du fils du roi. Et pourtant le texte montre tout le contraire : que l'on va punir une innocente, et non le fils qui est davantage " coupable ", et surtout que les jeux sont faits, que tout se décide loin d'elle ! Comment pourrait-elle alors défendre sa cause ? Qui assure qu'elle en aura même l'occasion ?

Le caractère idéologique d'un tel discours est donc patent. Procès de l'intolérance, éloge de la paix et de la différence, le nouveau catéchisme repose sur une confiance aveugle dans la rhétorique. Alain Boissinot, expliquant l'intérêt de cette pratique, ne peut réussir d'ailleurs à en occulter la supercherie : " L'éloquence épidictique, c'est le moment où une société se donne à elle-même la démonstration des valeurs auxquelles elle croit. Et donc on est bien dans le champ d'une forme de pratique sociale du discours qui vise, par l'éloge d'un certain nombre de valeurs, à fabriquer du lien social et à se convaincre soi-même et à convaincre les autres du bien-fondé des valeurs de la société à laquelle on appartient. "(52) Et Boissinot de citer la Coupe du monde de football, nouvelle épopée, occasion " de l'affirmation des valeurs d'un pays qui, le temps d'une victoire, s'émerveille de se voir " black-blanc-beur "… " Comment mieux dire le rôle désormais dévolu à l'école, son cynisme voire son inefficacité ? L'affirmation des valeurs dure " le temps d'une victoire " en effet… La chute, après, n'en est que plus dure. Il s'agit donc pour l'école de pourvoir la jeunesse d'illusions, de les prolonger, de les conforter… Et Boissinot de rapporter la thèse de Tacite, celle du Dialogue des orateurs, mais pour la contester, au lieu d'en prendre toute la mesure : " À partir du moment où le recul de la démocratie fait que les enjeux réels de l'éloquence, notamment délibérative, n'existent plus sur le plan politique, va se développer une éloquence épidictique coupée de toute réalité sociale ". N'est-ce pas exactement ce qui arrive ?

La négation du sens même des textes, et leur manipulation.

Cette contradiction entre l'idée que tout se vaut et le souhait de tisser du lien social, de promouvoir des valeurs collectives se trouve dans beaucoup d'autres sujets. Il reste donc bien des choses à dénoncer aux yeux de l'inspection, des choses qu'il est même si urgent de dénoncer que le sens des textes en devient secondaire.

Dans le sujet suivant par exemple, qui s'appuie sur L'Ecole des maris de Molière, la citation d'Ariste apparaît tronquée : " Selon Ariste, " L'école du monde […] instruit mieux " " que ne le fait aucun livre ". Etayez ou réfutez cette pensée en proposant des exemples précis. " (53) Quand on relit l'extrait, on constate que les répliques précédentes d'Ariste concernent surtout l'éducation morale, et s'adressent à Sganarelle, un vieux barbon qui cherche par " les verrous et les grilles " à faire la vertu d'une jeune femme. On constate ensuite que la phrase rapportée est en fait autrement plus nuancée : " l'école du monde " instruit mieux que les livres, certes, mais sur un sujet bien précis : sur la façon, " l'air dont il faut vivre " ! Et Ariste d'ajouter, comme conscient du danger qui subsiste encore d'un tel raccourci : " à mon gré ". Autant dire que les scrupules du personnage et le sujet de sa réflexion n'intéressent guère le rédacteur du sujet... Seule l'a probablement séduit la thèse annoncée plus tôt : " il nous faut en riant instruire la jeunesse ", comprise dans son sens le plus démagogique. Enfin, Ariste poursuit et précise encore un peu mieux son idée, qui se révèle bien éloignée de ce que le sujet cherche à lui faire dire :

Elle aime à dépenser en habits, linge et noeuds :

Que voulez-vous ? Je tâche à contenter ses voeux ;

Et ce sont des plaisirs qu'on peut, dans nos familles,

Lorsqu'on a du bien, permettre aux jeunes filles.

L'affirmation d'Ariste, qui semblait au premier abord une vive critique de l'éducation livresque, et que le sujet invite le candidat à défendre comme telle, n'est en fait qu'une maxime de bon sens, rappelant que tout ne peut s'apprendre dans les livres, et qu'en conséquence on peut bien sortir quelquefois, dépenser quelque argent en articles de mode et en spectacles, " lorsqu'on a du bien "... Voilà comment, et à quel prix, l'inspection générale fait dire à Molière que les livres ne servent pas à grand chose...

Dans un autre sujet, à partir d'un passage du Dialogue des morts où Fontenelle imagine un dialogue entre le médecin grec de l'Antiquité Erasistrate et le médecin anglais du XVIIe siècle Harvey, on trouve le travail d'écriture suivant : " " Rien ne changera ", déclare Erasistrate ; rédigez le dialogue qu'il pourrait avoir avec un homme d'aujourd'hui, bénéficiaire des découvertes du XXe siècle. "(54) L'intérêt du sujet, c'est que l'élève n'a pas à choisir, le bon camp lui est tout de suite désigné : nous " bénéficions " aujourd'hui des nouvelles découvertes... Il s'agit donc ni plus ni moins que réécrire un texte, et arbitrer de façon caricaturale un débat mal compris. On demande en effet aux élèves de prendre la défense de la modernité, pourtant malmenée dans l'extrait de Fontenelle, pour attaquer la voix de la tradition, qui rappelle pourtant ici qu'à force de croire tout réinventer, on en oublie le patient et riche héritage des anciens, que les nouvelles connaissances n'apportent pas toujours aussitôt la preuve de leur utilité, et que les progrès de la physique n'ont pas amélioré la connaissance de l'âme pour autant. Faut-il penser que ce discours n'a pas de sens ? A force de vouloir lancer une nouvelle querelle des anciens et des modernes, les concepteurs des sujets se moquent donc des textes eux-mêmes. Fontenelle était un " moderne " ? Cela suffit. N'allons pas voir plus loin, même si ses dialogues savaient donner raison aux deux parties. Il est forcément de bon ton de se moquer de la tradition, puisque c'est la tradition.

La religion de la modernité ne s'arrête évidemment pas avec Fontenelle. Après un extrait de Ce que je crois, où Hervé Bazin expose justement les formidables progrès techniques et scientifiques réalisés depuis Sully, mais où il estime que " si de notre savoir, de notre pouvoir nous avons le droit de tirer fierté, l'usage que nous en avons fait n'en inspire plus aucune ", on demande au candidat : " Pour un domaine précis du monde contemporain, évoqué dans le texte, présentez de façon argumentée un bilan positif. "(55) Nous avons donc l'obligation d'être heureux ! Et cela, alors même que Bazin nous rappelle que les progrès techniques ne se doublent pas souvent de progrès sociaux, spirituels, que " nous combattons mieux la mort, mais nous ne maîtrisons plus la vie, dont nous jouissons plus longtemps au sein de l'envie ", que " pour notre protection, nous fabriquons ce qu

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