Boogie44 Posté(e) 6 juillet 2011 Posté(e) 6 juillet 2011 sur ce blog La « fuite » d’un exercice de l’épreuve de mathématiques du baccalauréat scientifique a de nouveau déchaîné les contempteurs de la massification scolaire. A quoi bon de toute façon, clament-ils en substance partout, maintenir un examen vidé de sa substance puisque « donné à tout le monde ». Les élèves sont mauvais, le niveau baisse, le baccalauréat ne vaut plus rien, les jeunes ne savent plus écrire trois mots sans commettre dix fautes d’orthographe, la France prend l’eau. Il faut inlassablement répéter que non, 80% d’une génération n’obtient pas le baccalauréat puisque depuis quinze ans ce taux reste bloqué légèrement en dessous des 65%. Inlassablement répéter que parmi les enfants d’ouvriers nés entre 1981 et 1985, seuls 50% ont obtenu leur baccalauréat et seuls 35% un baccalauréat général ou technologique. La massification scolaire est donc loin d’être achevée, et non, « on ne donne pas le baccalauréat à tout le monde ». Mais ces critiques sont également insupportables pour le « racisme social » qu’elles véhiculent. L’âge d’or du baccalauréat auquel on se réfère, lorsque seuls 10% d’une génération obtenaient le parchemin, est un âge fondamentalement inégalitaire où seuls les enfants riches du patrimoine économique et culturel de leurs parents fréquentaient le lycée. Les nouveaux bacheliers des années 1980 et 1990 sont des bacheliers populaires : pour les beaux esprits, ils ont évidemment fait baisser le niveau. Ce débat est vieux comme le monde. « Les copies fourmillent de fautes de langage et d’orthographe; il semblerait qu’on n’apprenne plus la langue française » pestait Le Doyen des lettres à Bordeaux en… 1864, et je vous épargne la très connue citation de Socrate à ce sujet. Qu’on l’accepte ou non, le niveau général de connaissance de la population ne cesse d’augmenter car des dizaines de milliers d’élèves chaque année poursuivent des études dont ils étaient jadis largement exclus.Parmi les enfants d’ouvriers sortis de l’école depuis 5 à 8 ans en 2009, 75% exercent un emploi d’ouvrier ou d’employé, soit une diminution d’à peine 10 points en un quart de siècle. C’est bien ce constat insupportable, celui d’un degré de reproduction sociale insupportable dans la France du 21ème siècle qui doit interpeller, et non pas un débat vide de sens sur le niveau des bacheliers. Comment se fait-il, alors même que les taux de scolarisation des enfants des classes populaires ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies, que les cartes ne soient pas plus radicalement redistribuées entre les générations ? Evidemment, les sociologues de l’éducation ont apporté beaucoup de réponses. Si les enfants des classes populaires accèdent au collège puis au lycée, alors les inégalités se déplacent plus loin dans le système scolaire mais ne disparaissent pas. Par ailleurs, la filiarisation croissante des différents niveaux d’enseignement à partir du deuxième cycle de secondaire transforment des inégalités « quantitatives » (en termes de niveau d’étude) en inégalités « qualitatives » (le type d’études, la nature du diplôme). Mais il faut aussi prendre en compte l’élitisme échevelé de l’école française, qui dès le plus jeune âge, évalue, note et classe les élèves, alors même que ces premières années de scolarité sont fondamentales : même si les inégalités sociales de réussite sont déjà présentes, c’est à ce stade qu’elles sont les plus faibles puisqu’elles ne font qu’augmenter dans la suite du cursus. A rebours des politiques menées ces dernières années, la lutte contre les inégalités sociales de réussite et de cursus scolaires et ainsi la lutte contre la reproduction sociale passent par un effort considérable pour l’enseignement maternel et primaire. A ce prix, les quelque 150000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme cesseront d’être une fatalité. A ce prix, et si l’on reconnaît que l’école de la République dont se gargarisent certains n’est plus méritocratique depuis longtemps, alors peut-être aura-t-on les moyens de construire une école véritablement démocratique. A ce prix, le destin des individus cessera de reposer dans leur berceau.
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