PAPA est en prison

[Laeti59]

J'ai un élève dont les deux parents sont en prison, il est placé en famille d'accueil. La nounou, qui craint le qu'en-dira-t-on lui a conseillé de ne pas trop raconter sa vie à l'école, elle lui a dit que c'était son secret. Du coup j'adopte le même profil que la famille d'accueil, et la plupart du temps quand on parle de la famille il se réfère à sa "nounou" et son "tonton".

En début d'année il a parlé plusieurs fois, d'une manière assez inopinée et devant tous les autres, de son papa en prison et j'avoue que j'étais très désemparée. Donc votre discussion m'intéresse beaucoup.

J'avoue que je crains que cet enfant soit "mal jugé" par les autres enfants et surtout les autres parents.

[calinours]

J'avoue que je crains que cet enfant soit "mal jugé" par les autres enfants et surtout les autres parents.

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...Non justement, j'étais au courant de la situation depuis longtemps, mais on en voit tellement dans ce quartier :o que je n'y prêtais plus attention...

Je suis sûr que certains enfants en parlent entre eux sereinement (quand je n'écoute pas) malgré les consignes parentales... La classe s'est montrée soudée plus d'une fois (...) et je crois qu'on peut tenter d'en parler en petit groupe, sans heurter les deux enfants concernés, à travers un album, a fortiori si les enfants savent que les parents en ont eux-mêmes parlé avec le maître...

Le terrain est prêt

A suivre en début de semaine...

[Maïs]

Les enfants de petite et moyenne section ne jugent pas. Leurs parents , si, mais ce que les enfants en retiennent est souvent juste et simple (ton papa est en prison, il a fait une grosse bêtise ) Je crois que c'est mieux d'en parler simplement surtout quand l'enfant lui même entame le débat. C'est important de lui répondre et qu'il ne ressente pas le sujet comme tabou ou dérangeant parce qu'alors il va se mettre lui même hors jeu de la classe et se ressentira comme tabou et dérangeant. Il n'y a pas de filtres entre les parents et les enfants, ils s'identifient obligatoirement et pensent que tout est de leur faute surtout en ce qui concerne leurs parents .

[calinours]

Tout à fait d’accord, il n’est pas question de juger, il est question d’exister malgré une situation difficile. Le secret imposé est sûrement très lourd à porter (c’est pour ça qu’A. l’a entamé pour sa part) et il aurait des conséquences sur la manière de vivre ensemble en classe.

J’ai hâte de vous dire ce qu’il en a été autour d’un album (demain à l’accueil par exemple autour de JE SUIS LE ROI)…

@ demain

[Maïs]

@ demain, on t'attend

[Maïs]

oups

[calinours]

..Ce matin, à l'accueil, rendez-vous fut pris, après quelques jeux, avec ZP et A. , nous sommes allés nous installer un peu à l'écart de la classe, au coin des kaplas (momentanément fermé par décision magistrale)… ZP tenait Foufours dans ses bras et A. l'album que je leur proposais de découvrir : JE SUIS LE ROI...

Lorsque j'en arrivai à l'exclamation de Tibor en colère contre Mina : « Je vais te mettre en prison ! » (un ange passe) A. réagit : « Mon père , il est en prison », je ne dis rien, ZP non plus (mais Foufours étouffe)… Le sujet du récit dévie pour de bon avec l'illustration suivante de « la grande prison très sombre » que Tibor dessine... C'est encore A. qui s'y colle spontanément : « La prison c'est sombre et tu peux pas sortir à cause des polices » , cette fois je l'encourage « mais tu es allé dans une prison ? » et il me raconte qu'il y a du cacao aussi (sûrement au petit déjeuner) et qu'on peut emporter quelque chose à manger… ZP ne dit pas un mot. A. monopolise la parole « des fois, i peut sortir jouer au foot mais après il rentre de nouveau dans la prison »…

ZP écoute, elle ne semble pas perturbée par l'entretien particulier mais aurait peut être préféré finir la peinture de sa tête de méduse pour carnaval… J'ai le sentiment que cela n'a rien changé pour elle et que la langue est une barrière encore plus difficile dans son cas (elle est d'origine turque).

J'ai proposé à ZP d'en rester là et à A. de poursuivre « avec un livre qui parle de LA VISITE » en prison. ZP est finalement restée avec nous trois… Pour faire plus court et adapter le texte, j'ai raconté quelques illustrations…

Les personnages (des animaux) de l'histoire sont poignants de vérité (la maman de Clara est souris et le gardien de prison est bulldog). L'attente (train, bus, porte principale et parloir) imprègne et allonge le récit, mes deux auditeurs écoutent gravement sans interrompre, mais une illustration va interpeller A. , la file d'attente des animaux visiteurs se resserre juste avant le parloir . Le pélican n'a pas le bec vide (l'image montre un portable dissimulé dans la poche du bec), je raconte : « le pélican passe une porte spéciale avec son grand bec… » et A. me coupe en disant « …Alors ça sonne !!!!!!!!!!!!!!! » et d'expliquer qu'on ne peut pas emporter tout ce qu'on veut pour papa … Comme dirait ma collègue d'à côté, j'hallucine ! Et le gamin d'ajouter sereinement « mais le gâteau i sonne pas » .

Dix minutes plus tard, bilan des activités de l'accueil au premier regroupement de la journée… A. présente le livre dont nous avons parlé et répète « mon père il est en prison ». Un enfant (le cousin de ZP) enchaîne le propos « moi j'attends dans la voiture pendant que ma maman et la maman de ZP elles apportent le gâteau dans la prison »… Le cousin, qui s'exprime bien, confirme que les visites sont hebdomadaires et dit que parfois « il faut attendre ». Il parle de ça naturellement et la classe (seulement 17 élèves ce matin) écoute gravement sauf M. qui insistait pour raconter la partie de luge dimanche… C'est alors que S. lève le doigt pour annoncer qu'elle aussi doit attendre quand elle va voir son oncle et que maman ne l'emmène plus parce que « c'est trop triste » et pour enfoncer le clou, M. annonce que son tonton K. est en prison lui aussi ! M. ajoute et ça me fait sourir "Il y a de la neige en montagne".

J'ai vérifié les informations, pas de fabulation, quatre élèves sur un effectif de 19 qui ont un proche incarcéré . Il était temps d'en parler un peu… Il a été convenu que le livre LA VISITE serait lu par le maître prochainement à tous…

Pas de moquerie, pas de remarque blessante ou cruelle, une certaine gravité... Je ne saurai pas tout de suite ce qui s'est répété à la maison… Mais je suis fier de ces enfants qu'on pointe en grandes difficultés sociales et scolaires, ils confirment ce qui m'attache à la zep de plus en plus fort (trop sûrement) à savoir une certaine dignité humaine devant les misères de la vie…

[Maïs]

je suis toute émue par ton récit nours, merci de nous faire partager tout ça Heureusement que nous avons les albums pour nous aider dans les situations délicates ! Même si ZP n'a rien dit, elle a tout entendu ...

[Gué]

Parfois il faut du temps pour pouvoir parler de quelque chose qui nous pèse ou que quelqu'un a demandé de taire comme un secret...

et même si ZP n'a pas parlé, elle sait maintenant qu'elle n'est pas seule et je pense que c'est très important!

Tu as réussi à faire parler les élèves de quelque chose de pas évident: tu leur as surement ôté un poids et soulagés, et en même temps tu viens de renforcer le climat de confiance au sein de la classe, ce ressenti essentiel pour que les élèves se sentent au mieux et soient réellement au centre des apprentissages.

Donc je te dis un grand bravo!!

[poitou]

Calinours, je ne sais pas quoi dire, ça émeut, tout ça.

Je suis bien contente que tes élèves aient cet espace de dialogue dans ta classe.

[Miss Philoména]

nours : ce n'est qu'un début, continuons le combat ...

[Anwamanë]

Pas de moquerie, pas de remarque blessante ou cruelle, une certaine gravité... Je ne saurai pas tout de suite ce qui s’est répété à la maison… Mais je suis fier de ces enfants qu’on pointe en grandes difficultés sociales et scolaires, ils confirment ce qui m’attache à la zep de plus en plus fort (trop sûrement) à savoir une certaine dignité humaine devant les misères de la vie…

Que dire de plus...