Quand je compare les CE1 que j’avais il y a dix ans avec ceux que j’ai aujourd’hui, le constat est sans appel sur la baisse de niveau. Avant, dans une classe, j’avais deux très petits déchiffreurs (du genre à lire « moto » mais pas « mouton »), deux excités, et parfois un profil ulis ou itep passé entre les mailles du filet. Aujourd’hui, j’ai huit très petits déchiffreurs, cinq excités, deux profils ulis et un profil itep. C’est devenu la norme.
Ce qui me démoralise, c’est la façon dont le sujet est traité par l’institution et par la société en général. Il y a globalement deux courants de pensée à notre encontre :
- Ceux qui pensent ouvertement que c’est de la faute des profs parce qu’ils sont mauvais, surtout en maths, surtout en orthographe, pas assez sévères, trop sévères, qu’ils appliquent des pédagogies new age trop barrées, qu’ils sont restés bloqués aux pédagogies d’antan trop rétrogrades. On entend tout et son contraire selon les idéologies mais globalement : c’est de la faute des profs. Ceux-là ne me démoralisent même plus, ils me font même un peu rire, surtout quand ils décident de se reconvertir en PE, persuadés de pouvoir faire mieux que nous, pauvres incapables que nous sommes.
- Ceux qui me démoralisent vraiment, ce sont ceux qui, sous couvert de plaindre les profs et de vouloir améliorer leurs conditions de travail, vont employer des arguments plus pernicieux, plus sournois. « Les profs sont mal formés » Ça a l’air presque gentil dit comme ça. Et puis il faut admettre que c’est vrai pour ce qui est de la formation initiale. Mais ça sous-entend que les solutions existent pour gérer seul les profils de classes d’aujourd’hui et qu’on est simplement trop c*ns pour les mettre en place. Or non, ces solutions n’existent pas. Au mieux on peut connaitre les gestes professionnels pour gérer un TDA, une dys, une crise et j’en passe, on peut être au courant des dernières découvertes en neurosciences, mais à aucun moment on a trouvé une solution pour qu’une personne seule fasse simultanément le boulot de plusieurs personnes. Parce que c’est juste impossible.
La gestion d’un élève explosif est un autre exemple frappant. Quand on a un élève comme ça dans sa classe, on a juste envie d’entendre que ce n’est pas une situation normale et que quoi qu’on fasse on ne pourra pas améliorer grand-chose tant que l’enfant ne sera pas accueilli dans une structure adaptée. Au lieu de ça, on a droit à un défilé de pôles ressources, de fiches CHSCT et de pro tips dont les effets seront largement limités.
Et quand un prof remplit une fiche CHSCT, on lui demande de dire qu’il est en souffrance, avec pour but de mettre en avant sa fragilité psychologique. Sous couvert d’aider le prof, on sous-entend que c’est lui le problème, parce qu’il n’a pas les épaules, les bons gestes, le bon état d’esprit pour gérer la situation. Alors on « l’accompagne ». Ce mot en dit long.
Cette fausse empathie est une façon de nier le problème et de désigner les profs comme responsables. « Oh, les pauvres profs dévoués et pleins de bonnes volontés, il faut absolument qu’on leur explique comment il faut faire ». En ce moment je pense à la collègue de Normandie dont la classe a été médiatisée. J’imagine qu’elle est en train de se faire « accompagner » bien comme il faut et que sa hiérarchie transpire à peine en rédigeant ses communiqués. C’est tellement facile pour eux de retourner la situation à leur avantage en volant au secours d’un prof en difficulté qui sera qualifié à demi-mots de trop fragile ou pas assez formé.
Quoi qu’on fasse, on sera désigné responsable de façon suffisamment habile pour qu’on ne puisse rien y faire. À une infirmière, on n’ira pas reprocher de ne pas avoir pu réanimer trois patients en même temps, enfin j’espère, mais à un prof, on sous-entendra toujours que c'est plus ou moins de sa faute.