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JOURNAL DE BORD D’UN INSTITUTEUR.

Je suis rentré dans cette profession en 1981. Enthousiaste, passionné...

J'en sortirai avec un écœurement absolu et une infinie tristesse. Ça ne portera jamais atteinte à mon investissement en classe mais pour ce qui est de l'évolution des pratiques, du travail de fond, de l'image associée à cette profession, de l'éveil des consciences, du travail philosophique, de l'accompagnement des enfants, de l'objectif existentiel, ça n'est qu'un immonde désastre.

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"Le déséquilibre entre le niveau du développement de notre environnement extérieur et celui de notre développement spirituel est très frappant. La vraie menace qui pèse sur l'homme aujourd'hui, ce n'est pas tant la guerre que cette aridité désespérée, cet arrêt du développement intérieur. Une éducation capable de sauver l'humanité n'est pas une mince affaire. Elle implique le développement spirituel de l'homme et le renforcement de sa valeur personnelle. "

Maria Montessori.

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Comme je sais, après plusieurs années de pratique, que la philosophie est une pratique extrêmement importante pour les enfants, j'ai décidé de mettre par écrit quelques unes des réflexions qui me sont venues ces dernières années. C'est forcément très réducteur mais ça donne une idée de ce qu'il est possible de faire. Cent cinquante pages de réflexions, je me dis qu'il serait temps que je partage.

La philosophie n'est pas pour moi une activité purement scolaire mais une attitude constante dans l'analyse de tout ce que les enfants m'envoient dans leurs remarques, leurs tourments, leurs interrogations, leurs comportements. Un échange peut très bien s'établir pendant un cours de géographie, d'histoire, de science, une lecture, une séance de sport... Chaque occasion est à saisir afin de montrer aux enfants que la philosophie est un accompagnement de l'existence et non une matière scolaire ou même intellectuelle. Elle est à la source du développement personnel et en cela, elle se doit d'être constante.

Il ne s'agit pas pour moi de leur donner des connaissances livresques, une analyse des thèmes, des auteurs, des notions, des grands courants de pensées. Ça serait absurde et disproportionné. Je ne ferais sinon que tomber dans les travers de l'Education Nationale qui ne voit dans la philosophie qu'une matière évaluable dans un cadre strict et structuré.

Il est totalement stupide et insultant de considérer que les enfants de l'école élémentaire ne sont pas sensibles aux thèmes que nous évoquons en classe ou qu'ils n'ont pas les capacités à y réfléchir. Je pense pour ma part que ce sont les adultes qui sont bien souvent incapables de leur en parler pour la simple raison qu'ils n'ont pas fait l'effort eux-mêmes de s'interroger sur leurs propres perceptions des notions qui sous-tendent l'individu : Le Soi, le Moi, l'ego, l'âme, l'Esprit, l'amour, la passion, la conscience, les émotions, la raison, les conditionnements, l'affectivité, la peur, la mort, le matérialisme, la spiritualité...

Rien que ce dernier mot représente à lui seul, un conditionnement particulièrement puissant. La spiritualité est associée à la religion dans le mental d'un grand nombre de personnes alors qu'elles sont diamétralement opposées. La religion est une appartenance à un mouvement de masse. La spiritualité est une appartenance à Soi. Mais encore faut-il parvenir à identifier le Soi...La religion ne cherche pas à le faire, elle prône même la disparition du Soi pour manipuler plus aisément le petit Moi qui se reconnaît dans un groupe, une caste, une secte, une citadelle enluminée.

L'enseignement a une intention inavouée : le conditionnement.

La spiritualité a une intention avouée : la liberté.

La philosophie avec de jeunes enfants a une direction précise : la conscience.

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« Former les esprits sans les conformer

Les enrichir sans les endoctriner

Les armer sans les enrôler

Leur communiquer une force dont ils puissent faire leur force

Les séduire par le vrai pour les amener à leur propre vérité

Et leur donner le meilleur de soi

Sans attendre ce salaire dérisoire qu’est la ressemblance »

Jean Rostand

  1. LA VÉRITÉ

Délicat en fait de présenter cette activité à des enfants de CM2... Quel est l'objet d'étude ? Autant ils sont capables d'identifier de la géographie ou des mathématiques, autant, même après plusieurs débats en classe et des "mini réflexions" communes en cours de journée, il est difficile pour eux de cerner la réalité de cette "matière"... Une petite fille a même dit qu'après en avoir parlé avec ses parents, ceux-ci étaient incapables de dire ce qu'était la philosophie, ils n'en avaient jamais fait à l'école et n'avaient jamais rien lu dans ce domaine... J'ai répondu que tout le monde faisait de la philosophie tout au long de sa vie, à divers niveaux, étant donné que la philosophie a pour objectif comme le dit Sénèque " de nous procurer la vie heureuse" et que par conséquent tout le monde, un jour ou l'autre, faisait preuve de philosophie... Ce qui différenciait les individus, c'était la profondeur des réflexions, leur durabilité, leur multiplicité, l'exigence aussi quant à ne pas se voiler la vérité.

J'ai donc décidé de prolonger ce débat et de tenter de cerner clairement avec eux ce que signifie "philosopher". André Comte -Sponville en fait une présentation à laquelle j'adhère totalement dans "le bonheur désespérément." J'ai essayé d'en reprendre les grandes lignes.

"La philosophie est une pratique discursive (discours et raisonnements) qui a la vie pour objet, la raison pour moyen et le bonheur pour but. Il s'agit de penser mieux pour vivre mieux."

Le bonheur est le but de la philosophie et la sagesse en est le moyen. La sagesse se reconnaît au bonheur mais un "certain" bonheur. Il ne s'agit pas d'un bonheur nourri d'illusions mais d'une analyse approfondie de la vérité. Le philosophe s'attachera avec rigueur à une vraie tristesse plutôt qu'à une fausse joie, il ne se détournera pas de la lucidité pour se perdre dans des dérives hallucinogènes, quitte à devoir abandonner un "bonheur" fabriqué. Mieux vaut une saine vérité qu'un mensonge camouflé. Quel qu'en soit la rudesse. Les bonheurs illusoires sont les ferments des détresses à venir. On en revient à ces fameux espoirs comme autant de falots qui s'éteignent à la moindre brise. Le philosophe s'attelle à rester impliqué dans l'instant, à le décortiquer sans pour autant s'épuiser jusqu'à la déraison. Il n'évolue pas dans un espace clos mais au cœur de la vie quotidienne sans pour autant que cette vie quotidienne ne devienne un espace clos. Sa raison est au seuil, alternant les engagements réels dans une vie sociale et les retraits dans le silence de ses pensées. Il ne s'agit pas pour lui d'être coupé de la "Cité" mais de s'y fondre sans jamais s'y perdre.

Enseigner à de jeunes enfants, c’est une implication considérable dans la vie de la Cité. La responsabilité est gigantesque.

Saint-Augustin parlait de " la joie qui naît de la vérité." Spinoza parlera de "béatitude" par opposition aux bonheurs factices, ponctuels, éphémères de la vie frénétique de la Cité. Les bonheurs illusoires ont besoin d'être constamment alimentés par de nouveaux subterfuges, ils s'épuisent rapidement et conduisent immanquablement à une addiction pathogène. La société de consommation entretient le stock des toxicomanes.

Philosopher revient par conséquent à tenter d'être heureux à travers la vérité. Le bonheur n'est pas sa norme dans le sens où il n'est pas un objectif autorisant les déviances. Le philosophe acceptera les conclusions les plus redoutables. Le bonheur s'il n'est que le maintien des œillères lui est insupportable... Cette norme du bonheur à tous prix n'est pas de son domaine. La pensée "positive" n'entre pas dans son champ d'investigations dès lors que ces pensées sont détournées de la vérité. Il ne s'agit pas de penser ce qui nous rend heureux mais de penser ce qui nous paraît vrai. Cette vérité sera la source du bonheur. Et cette vérité est bien plus difficile à saisir que des bonheurs illusoires. Si le bonheur est le but, il n'en devient pas pour autant un alibi de la dérive.

Il n'est qu'à regarder ce faux ami qu'est l'espoir, cet aimant auquel nous succombons si facilement et qui contient caché en lui-même des désillusions implacables, pour comprendre ce qu'est la vérité du philosophe. Il reste ensuite à choisir sa propre voie.

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2) MA CLASSE

Je ne connais que l'école élémentaire. Mais c'est bien là que tout commence...

L'essentiel, à mes yeux, reste la connaissance de soi. Le contenant avant le contenu. L'individu avant l'élève. Lorsque l'éveil à soi est validé, l'éveil au monde devient possible.

Les adultes enseignants sont évidemment en première ligne... Mais il ne faut rien attendre de l’Éducation nationale, que ça soit un gouvernement de droite ou de gauche d'ailleurs. Trente ans que je suis instituteur et je n'ai vu qu'une dégradation continue de la prise en compte de l'individu, dans les moyens accordés et sur le fond également. Des statistiques, évaluations nationales, réformes dérisoires ou inapplicables, aucune évolution réelle. Tout le problème vient de l'école élémentaire à mon sens. Ce que vit le collège n'est que le résultat d'une absence d'existence en tant qu'individu. Au lycée, la proximité de la vie professionnelle sauvent quelque peu ceux qui sont encore dans la course... Mais les dégâts sont effroyables. L'école est avant tout un mouroir spirituel. Il n'y a que la philosophie existentielle (et non pas cognitive) qui puisse inverser le mouvement.

L'école n'est que le reflet du monde. Elle est un contenu et non pas un contenant. Juste une excroissance d'un système extrêmement vaste. Il est vain à mon sens d'attendre une évolution positive de l'école elle-même alors qu'elle dépend intrinsèquement d'un champ beaucoup plus vaste. C'est toute la vision de l'individu qu'il faut revoir. C'est comme entreprendre la rénovation intérieure d'une maison alors que le bâti est en ruine. Dès lors que le système scolaire est orchestré par des instances qui ont pleinement adhéré à la vision matérialiste de l'existence, il est absurde d'en attendre autre chose que les valeurs que ces gens soutiennent. Par conséquent, je ne crois pas que les changements puissent venir de la hiérarchie. On est dans le même fonctionnement que "les Indignés". C'est l'engagement de la base qui porte les germes du changement. Collaborer ou résister. Il convient donc d'établir, en soi, les priorités de sa mission et œuvrer à les appliquer. Pour ce qui est de l'école, les techniques d'enseignement sont secondaires. Tant que l'humain est valorisé, écouté, aimé, accepté dans ses différences, porté, accompagné, il n'a plus aucune raison d'entrer en rébellion. Les techniques, dès lors, sont des moyens, pas les objectifs qu'ils finissent par devenir tant on leur accorde d'importance... L'immense difficulté du travail vient du fait qu'il est impossible de réussir sans que ce travail ait été fait sur soi. Ça ne s'apprend pas dans des livres même si les livres peuvent être des soutiens. Chaque enseignant devrait avant tout être enseignant de lui-même, son propre élève et son propre maître, une alternance constante entre l'apprentissage et la validation des acquis spirituels. Et je dis bien "spirituel" et non pas "cognitif". Une spiritualité qui bien évidemment n'a rien à voir avec la religion. "Lettres aux écoles " de Krishnamurti devrait être une lecture de chevet...Les instances dirigeantes ne le proposeront jamais...

Ce système scolaire dans lequel l'apprentissage cognitif est la seule référence aboutit à un système pervers de croyances. Les diplômes représentent la validation administrative des étapes dans l'accumulation de ces croyances. Je parle de croyances étant donné que ces savoirs contribuent à l'égarement de l'individu dans l'idée que ce qu'il fait, produit, réalise, durant ce cheminement cognitif LE représente, que ce qu'il fait correspond à ce qu'il est et que la "réussite" dans ce parcours scolaire contribue à son être. Les concepteurs de la bombe nucléaire, les chimistes de Monsanto, les ingénieurs de chez Dassault, sont tous des gens hautement diplômés et ils sont à des années lumière de la moindre conscience unifiée. Ils œuvrent à la validation de leurs études dans l'exploration de leur ego en ayant abandonné toute forme d'empathie avec le flux vital.

Leurs croyances les nourrissent et ils se sentent certainement redevables de ce que le système scolaire leur a permis de devenir. Des fanatiques.

C'est parce que l'enseignement actuel exclut la dimension spirituelle que ces croyances s'établissent avec une telle force. Le pouvoir, la puissance, la compétition sociale, la comparaison, l'envie, la rentabilité, la technicité jusqu'à l'absurde, le profit, le mensonge, la soumission, la compromission, toutes les dérives actuelles sont les conséquences d'une déshumanisation de l'enseignement.

Je me demande d'ailleurs comment justifier l'idée qu'une société malade puisse s'ériger en formateur de jeunes esprits ? Comment peut-on considérer que les pairs, dans leurs dérives anciennes, puissent œuvrer au « Bien-Naître » des individus ?

Il me vient parfois à l'esprit que cette société agit comme un incubateur. Elle favorise l'éclosion de ses prochaines victimes. Victimes spirituelles à une échelle gigantesque. Jusqu'au sans domicile qui deviendra une victime physique. En passant par les suicidés, les intoxiqués, les déjantés, tous ceux qui se seront perdus en cours de route, qui auront quitté l'axe principal pour s'aventurer sur des chemins de traverse. Il y a des rescapés. Ceux qui basculent pour une raison qui parfois leur échappe dans cette dimension spirituelle dont ils ont été privés durant leur survie.

L'enseignement scolaire actuel exclut totalement la dimension spirituelle de l'individu. La classe de philosophie de terminale n'est qu'une accumulation de savoirs aboutissant à une évaluation chiffrée comme si le but essentiel de la philosophie tenait dans un cadre aussi restrictif. C'est consternant et ça contribue au rejet quasi général de ce regard porté sur l'existence. Pour ma part, la philosophie n'est même pas une finalité. Elle n'est qu'un moyen de tendre vers une complétude de l'individu, une unification de l'ego avec l'inconscient, du moi avec le Soi qui le contient, une observation lucide des conditionnements et leur analyse. La philosophie pour elle-même n'a pas plus d'intérêt que la connaissance de la carte du monde. Il ne s'agit que de l'image d'un territoire mais son exploration rend nécessaire l'engagement du marcheur. Sortir d'une classe de terminale en se contentant de connaître la carte sans que cela n'ait déclenché le désir absolu de se lancer sur la route intérieure est un échec cuisant pour l'éducation nationale. Il faudrait que ce mammouth cherche à connaître, sur le long terme, le nombre d'individus ayant éprouvé cet amour des horizons intérieurs.

Le constat serait effrayant.

La philosophie est bien autre chose qu'une matière scolaire. Luc Ferry disait qu'il était inutile de chercher à initier de jeunes enfants à une démarche philosophique. Je suis d'accord avec lui s'il s'agissait de l'enseigner comme cela est fait en France. Mais pour ma part, je mets bien autre chose dans le terme que ce simple épandage de notions diverses dans des esprits en friche. Lorsque je travaille avec mes élèves sur la gestion des émotions, nous faisons de la philosophie puisque l'objectif est de vivre mieux comme l'entendait Sénèque. Pour Luc Ferry, la philosophie est un moyen d'épandre sur les autres ses connaissances.

Evidemment, il trouverait humiliant que ça soit vers de jeunes enfants.

Il a une trop haute estime de lui.

Et bien, je pense, pour le vivre depuis trente ans, qu'il est bien plus délicat d'initier de jeunes esprits que de formater des adolescents. Ceux-là, n'ayant justement jamais eu à s'observer réellement, en dehors du prisme étroit de leur vie sociale. Lorsqu'une élève me dit, après notre discussion sur le chemin éclairé par les lampadaires qu'on allume, que les zones d'ombres lui apparaissent beaucoup moins inquiétantes dès lors qu'on sait qu'il est bon et reposant de venir se ressourcer sous les lumières acquises, et bien, je sais qu'il s'agit de philosophie. Puisqu'elle vivra mieux.

Il n'est nullement question pour moi de remettre en cause le rôle "économique" de l'école et la participation à l'avenir professionnel des enfants. Je dis simplement qu'à l'école élémentaire, la priorité est de participer au développement équilibré de l'individu. C'est lorsque cela aura été validé que le reste suivra de lui-même. Et non l'inverse.

Tout le nœud du problème tient dans cet accompagnement de l'humain. C'est là justement que la philosophie à l'école élémentaire peut prendre une place primordiale. Encore faut-il que les enseignants en prennent conscience et fassent eux-mêmes ce travail. Mais qui va juger de la démarche existentielle des enseignants ? C'est à eux de le faire. La priorité, depuis des décennies, c'est « l'avoir », c’est à dire l'extérieur. On travaille à l'envers. Les Peuples Premiers n'ont jamais perdu de vue qu'un chasseur, un cueilleur, un berger, un potier, ne représentent que des fonctions et qu'elles ne doivent jamais prendre le pas sur la Nature humaine.

Et comme les enseignants sont aussi, pour la plupart, des parents, le formatage est le même... Il n'y a par contre rien de définitif dans ce constat. Les rencontres que j'ai avec les parents d'élèves au long de l'année me montrent bien qu'ils sont dans leur grande majorité à l'écoute et lorsque les enfants leur rapportent le bonheur d'apprendre, ils prennent le même chemin. Il s'agit donc bien d'une osmose à réaliser dans ce triptyque, enfant, parents, enseignants. Toute condamnation ou jugement renforce l'épaisseur des barrières... Pour ce qui est de l’Éducation nationale, je ne l'inclus pas, volontairement, dans cette rencontre à établir. Elle n'a rien à imposer, elle se doit de suivre ce qui fonctionne sur le terrain.

Il faut inverser le sens des influences.

Depuis des décennies, les gouvernements successifs ont voulu faire tenir ce rôle à l'école : un rôle économique affiliée à une "philosophie matérialiste". Les objectifs étaient clairs et je rappelle d'ailleurs que Mr Hollande a dit que « l'école avait un rôle prioritaire dans le soutien à l'économie ». Alors, cette idée que l'enseignement doit avoir une portée concurrentielle, qu'elle doit permettre à la France de garder son rang, etc ...c'est ce qui est dit depuis bien longtemps alors que Jules Ferry disait : "Nous ne vous demandons pas d'en faire des grammairiens mais des hommes. "Et je répète alors ce que j'ai déjà dit. Il est essentiel d'aider à la constitution du récipient avant de vouloir y mettre quelque chose. Sinon, tout s'enfuit. Et là, ça fait longtemps qu'on travaille à l'envers. L'école élémentaire n'a AUCUN rôle à tenir au regard de l'économie et de la formation de futurs salariés. Le collège doit par contre s'ouvrir aux formations professionnelles pour des jeunes qui en ont le désir et non pas pour s'en débarrasser. Que ça soit fait par des gens compétents et avec des moyens, en partenariat avec les secteurs économiques concernés. Mais pour ce qui est de la filière purement scolaire, elle se doit d'apporter aux individus l'accession au "savoir être". Le "savoir faire" viendra en son temps et c'est ce regard et cet accompagnement existentiel qui soutiendra les étudiants dans le long cheminement vers les hauts diplômes.

Les individus se définissent aussi par leur activité économique mais s'ils ne se définissent QUE par ça, que leur reste-t-il lorsqu'ils perdent leur travail?...Toutes les identifications sont des pièges redoutables dès lors que l'individu ne se pense exister qu'à travers le statut que ces identifications lui donnent. Il s'agit donc, en priorité, à travers l'enseignement et l'éducation, d'apporter suffisamment de lucidité à l'individu pour qu'il découvre ce qu'il est mais sans jamais se figer. Je ne suis pas instituteur, j'exerce le métier d'instituteur. Le "Je" est bien autre chose qu'une fonction. Il est par essence une Nature.
Quant aux modèles dont les enfants se servent, je les vois à longueur d'année : Justin Bieber ou Ronaldo pour les garçons et Rihanna et autres starlettes pour les filles. Leur rêve à tous et toutes étant principalement de gagner des centaines de millions et d'être adulés. La valeur humaine est une notion qui leur échappe totalement. C'est pour cela que je leur raconte la vie de gens comme Albert Wegener, Marie Curie, Walter Bonatti, Bernard Moitessier, Alexandra David Neel, Nicole Viloteau, Laurence de la Ferrière, Louis Pasteur, Soeur Thérésa, Aung San Suu Kyi, Sir Edmond Hillary et Tensing Norkay etc etc...C'est pour cela que je les emmène en montagne. Les valeurs morales et les valeurs physiques. Tout le reste est secondaire. Même si ça reste important. C'est une continuité, pas un point de départ.

Tout le problème, pour moi, tient dans le fait, encore une fois que les parents et la société en général, télévision et médias, laissent penser aux enfants que l'apparence mais surtout l'appartenance à un groupe, à une image partagée, à une structure a davantage d'importance que l'individu lui-même. La "Biebermania" en est un des dernières apparitions. Il y en aura d’autres, il faut entretenir l’armée des décérébrés. Chez les adultes, on retrouve le même phénomène. C'est toujours une absence de vie intérieure qui trouve sa complétude dans des mouvements de masse. Les habits, être supporter de l'OM ou du PSG, s'habiller chez Calvin Klein ou Hermès et bien sûr avoir une Rolex..., ça prend évidemment des proportions différentes selon le milieu social mais le fonctionnement est le même. L'appartenance, la reconnaissance, l'adhésion aux groupes, l'avoir qui supplée l'être.

J’entends souvent dans les médias des « spécialistes » dire que le niveau des enfants baisse. A mon sens, c’est parce que le contenant est friable. Donc, le contenu s'écoule. Et comme la société, elle-même, montre des signes de plus en plus inquiétants de friabilité, dans de multiples domaines, cette perméabilité des individus se renforce. La peur est un effaceur surpuissant. Et je vois de plus en plus, dans mes classes successives, les peurs grandissantes des enfants. L’instabilité parentale en est une cause mais elle n’est pas la seule. Le Monde autour d’eux est violent ou en tout cas les représentations qu’on leur donne à voir.

J'en reviens à mon point de départ. C'est lorsqu'on aide l'individu à se connaître soi qu'il a des chances un jour de connaître quelque chose. Si on ne donne pas de sens à l'enseignement, ça part dans tous les sens et ça cafouille. Et ça commence bien évidemment dès les premières années d'école. Qu'on fasse découvrir la philosophie uniquement en terminale et pour l'obtention d'un diplôme, c'est totalement aberrant... Je n’ose imaginer ce que Socrate en penserait.

Et on ne s’en sortira pas avec la Morale laïque que prône maintenant Mr Peillon quand il l’affuble de l’apprentissage de la Marseillaise et l’évaluation chiffrée de ces enseignements. La morale laïque, telle qu’elle a été présentée, ces dernières heures, a pour objectif le ciment social. Mais ce social se réfère toujours à un contexte extérieur…On tourne en rond…Et on creuse un trou…

Déprimant.

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  1. INSTRUCTION OU ÉDUCATION ?

Doit-on s'en tenir à l'instruction ou doit-on prendre en charge également l'éducation?

Pour ma part, la réponse est évidente. Sans éducation, l'instruction est impossible. Il ne s'agirait que d'un intérêt pour le contenu et pas le contenant. J'entends par "éducation" non pas l'adhésion à une morale mais l'ouverture de l'humain à des notions spirituelles. L'instruction se limite à l'instruction d'un savoir. Pas nécessairement d'un savoir être. On peut être instruit et totalement inapte à la vie. L'éducation suppose une connaissance de soi, une conscience de la vie dans ce qu'elle a de plus profond. L'éducation doit promouvoir le développement de l'individu, un être sensible, intelligent, cultivé, respectueux, ouvert, critique et autocritique, responsable, aimant, contemplatif et déterminé. Un être engagé et non passif. Celui qui reçoit de l'instruction est un être passif que l'on remplit. Mais dont le vide intérieur est un gouffre gigantesque quand son mental se complaît dans le gavage. Je n'aime pas ce que l'école propose aux enfants. S'il ne s'agit que d'instruction, je ne suis qu'un subordonné aux mains d'un despote. Je ne veux pas formater, je ne veux pas de statistiques, pas de graphiques, pas de remédiations dès lors qu'on laisse croire que cela suffit à éveiller l'individu. Je pense que l'enseignant est avant tout un éducateur, "un passeur de sens", comme le dit René Barbier. L'éducateur est en premier lieu celui qui "est" ce qu'il propose de transmettre. Il ne s'agit pas de leurrer l'auditoire, ça serait un mensonge inacceptable. L'enseignant est celui qui met toute sa passion, son énergie, son enthousiasme, sa joie de connaître et de "vivre" ses connaissances au service des enfants. Il est impossible de délivrer un message, quel qu'il soit, s'il n'y a pas de messager. Et il ne s'agit pas d'être simplement un facteur. Mais un éveilleur. La meilleure évaluation se trouve au fond des yeux des enfants. Qu'ils soient brillants d'ardeur et la mission est menée. Le reste suivra. Peu importe le temps que ça prendra. Il convient de respecter les rythmes de chacun. Ce qui compte, c'est que le brasier soit allumé. Chaque individu y apportera le combustible nécessaire en fonction de ses désirs, de ses forces. Il n'y a pas de technique, il n'y a que l'énergie. Et l'Amour.

Selon l'étymologie, l'éducation signifie "nourrir" par le latin "educare" et également "conduire hors de" par une seconde version, "educere".

Il n'est pas difficile de comprendre qu'il ne s'agit pas de gaver mais bien d'apporter les éléments et les ressources favorables à une autosuffisance...

"Donne-moi un poisson et j'aurai à manger aujourd'hui. Apprends-moi à pêcher et j'aurai à manger toute ma vie." Il ne faut pas oublier d'apprendre à connaître et à aimer le poisson. Ça évite le pillage... Dans l'idée de conduire l'individu "hors de", j'entends par là la nécessité d'extraire l'individu de son petit moi, de sa suffisance ou de son hébétude, de sa léthargie, de sa complaisance envers lui-même, de ses conditionnements, de ses formatages, de ses abandons, de ses hallucinations... Si l'instruction scolaire entretient, développe, favorise cet embrigadement, elle va à l'encontre de l'homme pour ne s'occuper que du citoyen... Mais le citoyen est manipulable, il croit et se satisfait des "nourritures " qu'il reçoit. Juste des farines animales dont il se délecte au point de jalouser celles du voisin...Consternant. Et magistralement entretenu par les masses opaques du pouvoir. Pas les politiciens, ceux-là ne sont que des marionnettes infatuées. Le pouvoir est aux mains de ceux qui ne se montrent pas, ceux qui possèdent les richesses, ceux qui manipulent les marionnettes. Toutes les marionnettes...

Si l'instruction est destinée à forger des esprits martelés et cadenassés afin que ces individus s'engagent dans une vie sociale légiférée, réglementée et qu'ils s'en satisfassent, alors c'est que l'éducation est morte. Car l'éducation est sans fin. Elle est toujours ce brasier qui ne s'éteindra qu'à la mort. Cette idée répétée aux enfants qu'ils doivent aller à l'école pour avoir un bon métier est une abomination.

Lorsque des enseignants se contentent de recevoir une "formation continue" et s'imaginent dès lors évoluer favorablement parce qu'ils sont au courant des dernières techniques d'apprentissage, ils ne sont que des vaches à lait adorant leur avoine et la main condescendante du fermier qui les trait...

J'avais lu il y a quelques temps que Jacques Salomé avait demandé à intervenir dans une IUFM et que ça avait été refusé par le ministère. Pas question de faire réfléchir les masses enseignantes. Il faut leur apprendre à faire passer des évaluations... Parce que l'impact dans le grand public est très positif... Il faut entretenir une image 'grand public"... En vue des prochaines élections...

Enfin, bon, tout ça, c'est de la politique. Parce que l'instruction est politique.

L'éducation, quant à elle, s'intéresse à l'homme.

" Je me demande si nous nous sommes jamais posé la question du sens de l'éducation. Pourquoi va-t-on à l'école, pourquoi étudie-t-on diverses matières, pourquoi passe-t-on des examens, pourquoi cette compétition pour l'obtention de meilleures notes? Que signifie cette prétendue éducation et quels en sont les enjeux?

C'est une question capitale, non seulement pour les élèves, mais aussi pour les parents, les professeurs, et pour tous ceux qui aiment cette terre où nous vivons.

Pourquoi nous soumettons nous à cette épreuve qu'est l'éducation...

... La fonction de l'éducation n'est-elle pas plutôt de nous préparer, tant que nous sommes jeunes, à comprendre le processus global de l'existence?

... Assurément la vie ne se résume pas à un travail, un métier; la vie est une chose extraordinaire, un grand mystère, ample et profond, un vaste royaume au sein duquel nous fonctionnons en tant qu'êtres humains..."

" C'est pourquoi il est d'une grande importance que nous soyons éduqués de façon authentique- sans être étouffés par la tradition, sans tomber dans le destin tout tracé d'un groupe racial, culturel ou familial particulier, sans devenir des êtres mécanisés en marche vers une fin déterminée. Celui qui comprend l'ensemble de ce processus, qui rompt avec lui et qui fait front tout seul,- cet homme là est le moteur de son propre élan..."

Krisnamurti

Le Sens du Bonheur: Chapitre I) l'Education Chap XIII) Egalité et liberté

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DÉVELOPPEMENT PERSONNEL

Une conférence pédagogique dans le cadre de la formation continue. Sujet : la rédaction au cycle 3.

Quelques techniques et jeux intéressants, c'est déjà pas mal.

Mais aucune réflexion sur le fond du travail. Pourquoi demander à des enfants d'écrire ? Quel est l'objectif et quels sont les moyens à mettre en place ?

Personnellement, je ne vois la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire, l'orthographe aucunement comme des finalités. Ils ne sont que des outils. On peut comparer le fonctionnement d'une partie des enseignants à des techniciens du vélo qui viendraient présenter les pièces et le fonctionnement de l'engin mais sans aucune intention d'apprendre aux enfants à faire du vélo. On s'en tient donc à la technique mais pas à son usage, c'est à dire à l'expérience rendue possible par l'existence de ce vélo. Les voyages, les balades, les découvertes de paysages, le goût de l'effort, l'exploration de son potentiel physique, de sa résistance, l'effacement des pensées dans la mécanique hypnotique des jambes, le saisissement de l'énergie intime, cette force incommensurable qui vibre en chacun, le bonheur immense d'aller plus loin, encore plus loin, de viser les horizons intérieurs nourris par les horizons terrestres. Le vélo n'est pas qu'un engin de transport, il est surtout la possibilité d'un voyage intérieur.

Il en est de même avec l'écriture. À mon sens, elle doit prioritairement se tourner vers le développement personnel, un engin de transport vers les horizons intérieurs, la connaissance de soi, l'exploration des pensées, des ressentis, des émotions, des sentiments, de la conscience ineffable de la vie dans ce qu'elle a de plus merveilleux. L'écriture n'est pas un exercice technique mais une activité existentielle. Bien sûr qu'on peut jouer avec les mots, bien entendu qu'on peut se réjouir de leur magie, qu'on doit montrer aux enfants l'espace illimité qu'ils proposent. Mais ça ne doit pas être une finalité. Ni encore moins être évalué de façon technique. On en reste sinon qu'aux balbutiements. La maîtrise de la langue n'est pas le but, elle n'est qu'un moyen. Et si l'objectif n'est pas clairement explicité aux enfants, on court inévitablement le risque de perdre en cours de route ceux qui n'auront pas l'abnégation gratuite de se soumettre à ces exercices techniques et à ces évaluations réductrices.

Alors que faut-il viser ? A quel objectif cette maîtrise de la langue doit-elle être assujettie ?

Le développement personnel, la connaissance de soi, des autres, du monde, de la vie, de l'esprit, une certaine flamboyance qui dépasse l'individu pour le projeter hors de son moi, hors de ses contingences ou des conditions d'existence, hors des formatages et des bassesses de l'ego qui se meut aveuglément comme une larve ayant oublié le projet de la chrysalide. Il s'agit d'amener l'enfant vers la métamorphose. Ne surtout pas le gaver de choses mortes affublées de valeurs sociales, des notes, des évaluations, des diplômes, des plans de carrière...Non, pas l'écriture, on ne peut pas la rabaisser à ça, c'est épouvantable. Elle doit rester associée au bien naître, afin d'être.

Tout enseignant digne de ce nom devrait être engagé dans cette démarche. C'est la valeur humaine qui devrait servir de critère de sélection, le reste n'est qu'un bagage technique transportant des choses mortes. Ils existent ces enseignants mais ils subissent une pression énorme: hiérarchique, sociale, économique.

Il faut faire de nos enfants de « bons citoyens » mais la citoyenneté actuelle n'a plus rien à voir avec celle des Grecs antiques. Elle n'est que le reflet de cet embrigadement planifié afin que les citoyens servent non pas la Cité mais ceux qui la dirigent et s'y enrichissent. La plèbe ne doit pas être éveillée, l'école ne doit pas servir l'émancipation des individus, elle doit être au service d'un projet qui n'est pas celui du développement personnel. L'économie et l'intégration au flot des consommateurs est une priorité nationale. L'école est une arme de destruction massive si elle adhère à ces critères de sélection. C'est un génocide spirituel qu'elle soutient.

Si l'écriture n'existe dans l'école que comme critère d'évaluation et n'est pas nourrie par un projet existentiel, elle est détournée et les enseignants qui y collaborent sont des destructeurs d'âmes. Il ne s'agit aucunement de promouvoir un rejet de la société mais juste la capacité en chacun d'observer à quelle place il se trouve, quels sont les rôles qu'il est amené à tenir sans pour autant que l'être réel ne disparaisse. S'intégrer socialement ne signifie pas être désintégré intérieurement. C'est absolument indispensable de préserver l'intégrité de l'individu. L'écriture peut concourir à promouvoir cette connaissance de soi, cette lucidité, cette vigilance. La maîtrise de la langue devient par conséquent une arme de construction massive : celle d'une humanité.

Demain, avec mes élèves de CM2, nous reprendrons notre réflexion sur la conscience. Nous avons travaillé sur la conscience morale. Nous passerons à la conscience de soi.

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Bonjour et ... merci.

Quelques lignes lumineuses, quelques mots éclairants. En ce dimanche matin gris, à la perspective d'une nouvelle semaine avec une classe de très jeunes élèves (GS/CP) en plein dans les "Monster High" pour les filles et autres pokeymon ou beyblade pour les garçons "Et si t'as pas ça, nan mais c'est trop la honte" .... Cela fait du bien et donne à penser.

Merci donc et continuez de publier, s'il vous plaît, je suivrai!

Carotd

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Merci Thierry73, désespérément en quête de ce type de réflexion pour alimenter la mienne, défaillante, et en train de s'éteindre depuis plusieurs années au sujet de ce métier.

Comme Carotd, je continuerai à te suivre !

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FAIRE CE QUI EST JUSTE

Avec le temps, les années à travailler avec les enfants, j’ai fini par comprendre que je n’avais aucun espoir à avoir au regard de l’énergie que je dépense avec eux. C’est totalement inutile. Ça ne m’appartient pas. Il y a beaucoup trop de paramètres qui entrent en compte et qui m’échappent totalement, et même si je maîtrisais 99 % de la situation, il y aurait une pression ingérable qui s’installerait si je désirais obtenir des résultats conséquents. Ce qui importe et qui m’appartient totalement, c’est que je m’applique à faire ce qui me semble juste. L’intention ne doit pas faire partie de ce travail au risque de tomber dans la désillusion. Mais ce n’est pas la réalité qui crée cette désillusion. C’est moi parce que la réalité ne correspondra pas à ce que j’espérais atteindre. Dès lors, je vais renforcer ma pression sur les élèves étant donné que cette désillusion me renvoie une image négative de moi-même. Le piège est redoutable. Cette pression, je vais la transmettre et les enfants la recevront et la transformeront inconsciemment en peur. Leurs résultats en seront impactés parce qu’ils seront figés par mes attentes.

Dans ce métier, il ne faut avoir aucune attente, aucun espoir, aucune intention. Il faut juste se contenter de faire ce qui semble juste, utile, efficace, judicieux.

Finalement, il faudrait avoir dans chaque classe une personne qui observe l’enseignant et qui travaille avec lui sur son propre vécu, qui l’aide à analyser son propre parcours, les raisons de son engagement dans ce métier, les traumatismes et ce qu’il cherche à apaiser en lui, la reconnaissance qu’il voudrait obtenir, la vision qu’il a de l’enfance au regard de l’enfant qu’il porte en lui… Mais les enseignants sont seuls et c’est donc un travail qu’ils doivent mener dans leur solitude et en explorant leurs angoisses. On rejoint le travail nécessaire de l’inconscient si cher à C.G. Jung. La connaissance de soi consiste en un travail d’introspection permettant la compréhension de ce qui nous constitue. Car comment envisager de transmettre des connaissances alors que celui qui en est chargé ne sait pas ce qu’il porte ? On pourrait penser que la maîtrise des techniques suffise mais ça serait une illusion redoutable là encore. Le contenu n’a aucune importance si le contenant ne sait pas de quoi il est constitué. C’est comme une outre percée qui se viderait sous la pression exercée par la fonction de porteur d’eau. Il faut que l’outre soit étanche, qu’elle ait colmaté les fissures, qu’elle ait renforcé la structure. Là, il sera possible qu’elle transporte ce pour quoi elle est faite et même, chose surprenante, qu’elle continue à croître et à porter un volume de plus en plus important.

Il y a une attitude indispensable pour apprendre de quoi l’outre est constituée. C’est l’humilité. Ce qui n’a rien à voir avec le doute. Celui qui doute ne peut transmettre que ses peurs. Celui qui reste humble transmet sans chercher à savoir si cela aura un effet. Il agit. Sans se soucier de la portée de ses actes. Il est du coup disponible pour analyser la justesse de ses actes et les modifier si cela lui semble nécessaire, non pas au regard des effets mais au regard de la réception de ses propos et de ses actes. Est-ce que ce qu’il fait est reçu avec enthousiasme ou est-ce que les personnes concernées restent inertes et juste soumises à sa pression ? Le seul effet à analyser, c’est l’engagement qui est déclenché par l’enthousiasme de celui qui transmet et l’enthousiasme de celui qui reçoit.

Il s’agit par conséquent de rester impliqué dans l’instant présent. Sans se préoccuper des résultats. Il sera toujours temps, plus tard, d’en juger. Si ces résultats se révèlent insuffisants au regard de ce qui est réalisable, il conviendra, non pas de juger celui qui n’a pas atteint un objectif totalement subjectif, mais de juger de l’investissement de celui qui transmet.

Il reste le problème posé par ceux ou celles qui restent imperméables à toute transmission ou qui ont besoin d’un laps de temps conséquent pour y parvenir. Les raisons, encore une fois, peuvent être innombrables. La structure scolaire, de par sa rigueur, génère une pression insurmontable. Celle de l’enseignant qui se sent impuissant, celle du temps qui file et qui va imposer une sentence, celle d’un cadre qui n’est absolument pas favorable à la prise en charge spirituelle de ces individus. Je dis bien « spirituelle » et non pas « psychologique ». Là aussi, je suis persuadé aujourd’hui, après trente ans de travail, que c’est là que se situe le problème.

La psychologie n’est qu’une version scientifique de la spiritualité. Il fallait un terme « laïc » parce que la religion s’est accaparée la spiritualité. Il n’en est rien pourtant étant donné que la spiritualité est une voie d’éveil, là ou l’adhésion religieuse est un embrigadement. Et la religion n’a encore rien à voir avec la Foi.

C’est de spiritualité dont les enfants ont besoin. Mais quels enseignants considèrent que pour eux-mêmes, c’est un travail indispensable ?…

Il est malgré tout impossible, au cœur de la journée de classe, de ne pas avoir d'attente si on s'en tient à l'idée de l'accession au savoir mais je pense qu'il est inutile et même malsain d'en faire LA priorité. Parce que les enfants le perçoivent et que c'est le meilleur moyen de les brider par la peur que cela génère. Lorsque je leur enseigne les fractions par exemple, j'ai bien une intention, c'est celle de leur permettre de maîtriser une technique, une connaissance. Mais ça, c'est à moi que ça appartient et l'angoisse de ne pas y parvenir, c'est moi qui la fabrique. Et je ne dois pas la leur transmettre sinon je les alourdis de ce que JE porte. Et c'est depuis que je tente de me libérer moi-même de cette pression, sans perdre de vue l'objectif technique, que je perçois chez les enfants, ce plaisir simple, pur, de la connaissance pour elle-même. Non pas pour répondre à mes exigences, non pas pour accéder à un diplôme, à une note, à une évaluation mais juste pour se mesurer, soi, à la difficulté de l'apprentissage. C'est la connaissance de soi qui est le but ultime et toutes les émotions qui viennent se greffer à ce cheminement sont des entraves. Même la fierté est une entrave car elle porte l'idée de l'espoir. Si je travaille dans l'espoir d'être fier de moi, je ne suis pas entrain d'apprendre mais de répondre prioritairement à une notion rapportée, à quelque chose qui émane de mon statut social d'élève. Et c'est une perversion de la connaissance elle-même. Et elle ne le mérite pas.
Il ne me paraît pas sain d'attendre ou d'espérer que les élèves se détournent de nos projections. Il est préférable à mes yeux de les absoudre de cette nécessité de se protéger de nos émanations de technocrates...Et de leur offrir simplement ce bijou de la connaissance, juste pour ce qu'elle est. La pression de la réussite est une émanation pestilentielle.

Apprendre à apprendre est le chemin parfait à mes yeux. Mais il faut désapprendre tout ce qui est venu se greffer sur le chemin, toutes les bornes fossilisées, les ossements du mammouth. Celui-là est mort depuis bien longtemps mais son souvenir perdure dans les récitants qui le vénèrent comme des croyants implorant des reliques. Il est temps de passer à une autre dimension. Et seule, la démarche existentielle et non intellectuelle pourra apporter ces nourritures indispensables.

Un exemple aujourd'hui.

Journée de ski de piste avec mes élèves. (CM2)

Il a neigé toute la nuit, 30 à 40 cm de poudreuse, les pistes sommairement damées.

Normalement, nous encadrons les enfants à deux adultes mais il est de plus en plus difficile de trouver des parents bénévoles. Cinquante-six enfants (deux classes), il en faut du monde...

Je me suis donc retrouvé tout seul avec huit enfants.

J'ai commencé doucement, un groupe de niveau moyen, piste bleu-rouge, grand maximum.

Un garçon débrouillard et attentif en serre file.

De nombreuses pauses à chaque descente, des ateliers techniques, des exercices spécifiques pour améliorer la maîtrise.

Et puis, peu à peu, j'ai senti qu'il y avait une cohésion formidable, une écoute fabuleuse, une confiance totale. Quatre enfants du groupe viennent de l'autre classe et pourtant, j'ai senti qu'ils étaient parfaitement à l'écoute de toutes mes paroles. J'ai expliqué la peur, cette tension qui vient en eux et qu'ils doivent observer pour s'en libérer, leur faire comprendre qu'elle n'a aucun intérêt, qu'ils se brident eux-mêmes mais qu'ils peuvent également inverser l'effet néfaste de cette énergie insoumise en la transformant en maîtrise intérieure.

"Vous avez le potentiel pour faire quelque chose de beaucoup plus difficile. J'ai totalement confiance en vous. On va aller faire une piste noire."

La piste n'était absolument pas damée, juste quelques traces dans quarante centimètres de poudreuse. Des bosses, des trous, des accumulations de neige énorme. Une pente raide, sur le versant opposé de la station, un couloir assez étroit, un environnement impressionnant, à l'ombre d'un sommet. Solitude totale. Et puis on a rattrapé un groupe de skieurs. Cinq jeunes, une vingtaine d'années, en perdition. Ils n'avaient pas le niveau mais surtout, ils étaient envahis, intérieurement, par cette certitude qu'ils n'auraient pas dû être là. Des dissensions dans le groupe.

De notre côté, nous étions heureux et pleinement impliqués dans les gestes à mener.

La confiance...

Et cet amour pour eux, ce bonheur en moi de les voir évoluer dans une situation totalement imprévue, nouvelle, déstabilisante. Ces rires quand ils tombaient, ces efforts titanesques pour réussir à se relever, à dégager leurs skis enfouis, à rechausser, à repartir dans la pente.

La force...
Elle se nourrit de la confiance, elle est portée par l'amour. C'est une certitude absolue.

Je les ai félicités à chaque portion, je les ai encouragés, j'ai expliqué que la chute doit être analysée, il s'agit de comprendre, de ne pas agir dans un état d'inconscience, être en observation de soi tout autant qu'observateur de la piste.

"La chute n'est pas un échec; l'échec, c'est de rester là où on est tombé. " Socrate.

C'est affiché au-dessus du tableau, dans la classe. C'est très souvent utilisé, à chaque situation correspondante....

L'apprentissage, quel qu'il soit, n'a pas de valeur en lui-même s'il est dépossédé de la connaissance de soi à saisir.

"Regardez ce que vous vivez, c'est extraordinaire, c'est magnifique, vous dépassez tout ce que vous avez connu, vous découvrez ce que vous ignoriez de vous. La Terre nous en apprend plus long sur nous parce qu'elle nous résiste. C'est Saint-Exupéry qui a dit ça."

Toujours ramener les enfants à une dimension existentielle, les amener à regarder avec profondeur, pas seulement dans l'évènement lui-même mais dans les effets les plus intenses, les plus durables, les plus constructeurs. Se servir ensuite de l'expérience pour la prolonger dans d'autres situations, qu'elles soient différentes n'a aucune importance. C'est la connaissance de soi qui importe. Dans tous les phénomènes intérieurs.

Ils auraient pu rester figés dans leur peur et se faire mal.

Ils ont appris au contraire à saisir la joie d'apprendre, le plaisir de la chute quand elle est l'opportunité de progresser, de comprendre, d'analyser.

La confiance est nourrie par l'amour. La force qui en résulte est au-delà du connu.

Tous solidaires pour aider le camarade de jeu à se sortir d'un trou, à l'aider à se relever. Aucune compétition. Un élan commun vers l'objectif.

Les regards brillants que je devinais derrière les masques de ski.

Je les aime. J'aime la vie en eux.

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Merci Thierry73, désespérément en quête de ce type de réflexion pour alimenter la mienne, défaillante, et en train de s'éteindre depuis plusieurs années au sujet de ce métier.

Comme Carotd, je continuerai à te suivre !

Merci Amélie. je me demandais si ça en valait la peine et je viens de lire ton message et celui de Carotd.

Bonjour et ... merci.

Quelques lignes lumineuses, quelques mots éclairants. En ce dimanche matin gris, à la perspective d'une nouvelle semaine avec une classe de très jeunes élèves (GS/CP) en plein dans les "Monster High" pour les filles et autres pokeymon ou beyblade pour les garçons "Et si t'as pas ça, nan mais c'est trop la honte" .... Cela fait du bien et donne à penser.

Merci donc et continuez de publier, s'il vous plaît, je suivrai!

Carotd

Je conitnue Carotd, si cela peut servir. Merci :)

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6 ) LES PROFESSEURS

Je récupère mon garçon, lycéen et j’écoute sa semaine pendant la route.

Et je m’entends parler à mes parents, il y a trente ans.

Comment est-ce possible ? Comment expliquer que ces rapports conflictuels, que cette incommunicabilité, que cette distance effroyable entre de jeunes individus et des personnes matures puissent encore exister ? Comment justifier que les programmes soient toujours entachés de connaissances inutiles, totalement abstraites pour des esprits qui sont à des années lumières de ce qui leur est imposé, comme si en trente ans les adolescents n’avaient pas changé, que ce monde technologique n’existait pas, que cette effervescence de communication n’était pas entrée dans les têtes des technocrates qui maintiennent sclérosés un monde scolaire terriblement isolé.

Des notes, des contrôles, des sanctions, des rapports de force, des humiliations, des menaces, des insultes parfois… Des examens, des concours, une course au métier, une compétition acharnée, exacerbée par ces professeurs qui usent de leur bulletin scolaire comme d’une guillotine. « Marche ou crève ». « Il faut maintenir les statistiques pour le BAC et puis je vais bientôt être inspecté ».

Quelles sont leurs motivations, quelles sont leurs raisons d’être là ?

Tout ce que j’ai connu, il y a trente ans... Comme si ce monde de l’Education Nationale et ses représentants n’étaient en fait qu’une forme de vie fossilisée, agitée de l’intérieur par des fantômes.

J’ai eu pourtant des professeurs qui m’ont marqué. Trois exactement. Un professeur de Français au collège, un professeur de Français au lycée, une professeure de philosophie en Terminale.

Combien y en a t-il que j’ai détestés et que j’ai fini par oublier ? Une cinquantaine…

C’est effrayant.

Léo raconte : Cours de français, Apollinaire et ses techniques d’absence de ponctuation. Léo est en 1ère S. La prof devrait tenir compte des centres d’intérêt de cette classe et adopter son cours, le rendre actif, participatif, tourner même en dérision l’insignifiance absolue de ces paramètres techniques de la poésie. Qu’elle ne soit pas capable de prendre conscience que sa classe se contrefiche de ce cours académique, de ces notes qu’elle récite depuis quarante ans et que les élèves doivent copier en vue du contrôle-surprise à venir, qu’elle fasse mourir dans la tête de ces jeunes toute éventuelle surprise et pourquoi pas intérêt pour la poésie, qu’elle en vienne à tuer la mémoire anarchiste d’Apollinaire qui serait écœuré de ce massacre, comment est-ce possible ?

Comment tout cela est-il possible ?

Que font-ils là ces professeurs ?

Comment expliquer que dans les sphères de l’Éducation Nationale, d’autres individus encore plus obtus, limités, circonscrits à leurs connaissances techniques aient pu accéder à des postes de décideurs ?

Comment justifier que des générations de collégiens et de lycéens continueront à être martyrisées par des rapports humains dignes d’une enceinte carcérale ?

Et ça n’est pas que Léo qui me parle de ce calvaire. Trente ans que je suis instituteur. Trente ans que j’entends d’anciens élèves vomir leur dégoût.

QUI A UNE EXPLICATION ?

Pour ma part, je dirais déjà qu’un prof qui entre dans ce métier par amour d’une matière scolaire, d’une connaissance, pour prolonger ce bonheur du savoir accumulé, celui-là se trompe.

On n’enseigne pas ce qu’on sait, on enseigne ce qu’on est. Et un prof se doit d’être avant tout un diffuseur d’humanité. Un prof qui ne sentirait jamais jaillir en lui, jusqu’aux larmes, ce bonheur de l’osmose des âmes, alors celui-là doit se retirer. Ou de grandir au lieu de le réclamer à ses élèves.

7) LES PROFESSEURS (2)

Un malaise cette nuit en repensant à cet état des lieux au lycée et par là-même au collège.

Trop simpliste, un amalgame réducteur et mensonger.

Ils existent ces professeurs qui œuvrent au bien-être de leurs élèves, qui n’entrent pas en classe comme s’ils montaient au front, qui parviennent à établir un lien existentiel et non seulement frontal et conflictuel.

Mais que s’est-il passé à l’école maternelle et à l’école primaire pour ces élèves dont ils ont un jour la charge ?

Depuis combien d’années déjà souffrent-ils pour certains et certaines de jugements péremptoires et systématiquement transmis aux enseignants, classe après classe, comme s’il n’y avait aucune progression possible, comme une condamnation à perpétuité. « Ne peut rien faire de mieux… »

Ça ne sera pas marqué dans le dossier scolaire (quoique…) mais ça sera vécu ainsi, jour après jour, à travers des humiliations répétées, des sanctions, des mises à l’écart, des réflexions assassines. Une accumulation sans fin.

Jusqu’à l’arrivée de l’adolescence où les forces intérieures ne seront plus contenues, où cette colère amassée comme une marée derrière une digue emportera tout sur son passage. Il y aura d’abord une brèche, une faille dans le mur et puis si rien n’est fait pour colmater l’ouvrage, si aucun adulte ne parvient à apaiser, à aimer, à comprendre, à entendre, à ressentir le drame qui couve, tout finira par céder.

Et il n’y aura plus jamais cette confiance indispensable pour grandir.

L’école élémentaire porte une part de ce drame. Il serait trop facile de se satisfaire de la soumission provisoire des enfants et de reporter la faute sur le secondaire. Nous sommes, instituteurs et institutrices, les ouvriers de cette plénitude ou de ce tsunami à venir.

Je ne parlerai pas du cadre de vie, celui de la campagne ou celui des banlieues, ni du cadre social, celui du fils de notaire ou celui du Rmiste, ni du cadre familial, celui du couple unifié et aimant ou celui de parents déchirés et haineux, je ne parlerai pas de l’image effroyablement déstabilisante d’un monde moderne n’ayant aucun ancrage, aucune ligne directrice sinon celui d’une folie consumériste et matérialiste, je ne parlerai pas des problèmes insolubles qui sont constamment jetés en pâture à des enfants ou des adolescents qui n’ont aucun pouvoir de changement, qui ne sont que les victimes impuissantes de ces images choisies intentionnellement par des adultes conspirateurs et cupides.

« Nous voulons des cerveaux vides et mous pour les emplir d’images qui rapportent ». Les propos, dans l’idée, à quelques mots près, de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1.

Ces enfants puis ces adolescents seront un jour les adultes qui attaquent au sabre un commissariat, défenestrent leur compagne, étouffent leurs enfants, empoisonnent leur famille, exécutent, découpent, carbonisent, dévorent ou s’immolent dans une cour de lycée…

D’autres seront aimants, amants, attentionnés, respectueux, équilibrés, rieurs, lucides, conscients, ouverts, humains tout simplement.

Tout se jouera, ou en partie en tout cas, dans ce cadre étroit et douloureux ou magnifiquement ouvert des écoles, des collèges, des lycées…

C’est bien pour cela que ça n’est pas un métier, c’est bien plus…

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Merci Thierry ! :)

Comment retrouver l'envie d'enseigner .... malgré la fatigue, les esprits de ces jeunes élèves beaucoup trop saturés d'autre chose pour s'ouvrir à nos messages ? .......

Désespérément à la recherche de mon entrain perdu au bout de 16 ans ...

Merci encore pour tes réflexions

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Merci Thierry ! :)

Comment retrouver l'envie d'enseigner .... malgré la fatigue, les esprits de ces jeunes élèves beaucoup trop saturés d'autre chose pour s'ouvrir à nos messages ? .......

Désespérément à la recherche de mon entrain perdu au bout de 16 ans ...

Merci encore pour tes réflexions

Oui, ils sont saturés mais il est juste et sain de leur apprendre à se libérer. C'est le fondement même de notre mission. Merci pour tes commentaires Amélie, très heureux que ça puisse servir à quelque chose.

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UN SANCTUAIRE

Je considère que dans ce "métier", si on n'évolue pas, c'est qu'on régresse. Le sur-place est en soi un échec. Personnellement, je n'ai rien appris de favorable de ces professeurs qui étaient figés, sinon, la désillusion envers l'espèce humaine et je me serais bien passé de cette connaissance. Le problème de l'école est bien un problème sociétal, politique, économique mais ça ne peut pas en devenir une excuse ou un moyen de se dédouaner du désastre. L'école est à mes yeux un sanctuaire. Il ne s'agit pas d'y apprendre la douleur comme si on devait s'entraîner à la subir mais d'apprendre ce qui est bon et juste. Il ne s'agit pas non plus d'être surprotégé dans un monde fermé mais d'apprendre auprès d'adultes responsables et éclairés à progresser sur SA propre voie et à en assumer les difficultés. Mais lorsque l'école attend de la part d'adultes conditionnés à enseigner les valeurs essentielles qui fondent une existence, on ne peut pas envisager autre chose que la duplication de ces formatages adoptés.
En septembre 2011, je me suis fait balancer en vélo par une voiture qui m'a refusé une priorité. Huit jours d'arrêt. Le remplaçant qui a pris ma classe a dit à mes élèves en regardant les citations philosophiques qui sont affichées au mur : "Qu'est-ce que c'est que ces âneries ? Vous n'y comprenez rien à ça de toute façon ? Vous feriez mieux d'apprendre vos conjugaisons. " Comme certains de ces élèves participent aux débats-philo depuis deux ans, ils ont appris à répondre. Chloé a dit : "C'est pas parce que ça ne vous plaît pas qu'il faut croire qu'on ne comprend rien. " Et elle a bien entendu été punie.
Des enseignants comme celui-là, il y en a bien trop. Beaucoup trop. Ils ne sont pas enseignants d'ailleurs puisqu'ils n'ont eux-mêmes rien su apprendre. Ils ne font que répéter. Je travaille sur la méditation cette année, respiration et visualisation des pensées, jusqu'à l'abandon même des pensées, dans l'entonnoir... Moi aussi, j'apprends. Pas une nouvelle technique de lecture, pas une nouvelle méthode de grammaire, tout ça c'est du vomi ravalé. Pour apprendre, il faut commencer par se défaire de l'inutile, sinon, il n'y a pas de place... Le mental tourne en rond et quand on tourne en rond, on finit par creuser un trou sous ses pieds. L’éducation nationale creuse, creuse depuis des décennies...Et la plupart des enseignants participent à grands coups de pioches sur la tête des enfants. Je me bats depuis très longtemps avec le fonctionnement qui fait qu'un enfant ne va travailler qu'en fonction de la note qu'il va obtenir, de la peur de la sanction, de la peur du redoublement, de la peur du regard des autres, du jugement des parents... J'ai dit aux enfants cette semaine qu'ils allaient écrire eux-mêmes leur dernier bulletin, celui qui va être lu par les profs à l'entrée en sixième, je leur ai demandé d'écrire une appréciation sur l'ensemble de leur travail pendant leur année de CM2. La première chose qui ressort, c'est leur moyenne générale, c'est la première chose à laquelle ils pensent. Et pourtant, pendant un an, j'essaie de leur faire comprendre que ça n'est pas l'essentiel, que leur évolution personnelle est bien plus importante mais cette pression sociale, ce fonctionnement chiffré, cette obligation de résultats visibles, présentables, restent pour eux la seule norme importante. Il y a heureusement des cas à part... Une petite fille a écrit qu'elle avait beaucoup aimé discuter et qu'elle voyait bien qu'elle arrivait mieux maintenant à exprimer des pensées profondes, qu'elle n'avait jamais autant parlé de l'amour, de la mort, de la vie, de l'Univers, de la beauté de la Nature, du bonheur de sentir son corps, de l'importance d'avoir une amie (elle dit de son amie que c'est son soleil)... Les enfants subissent une pression énorme pour "apprendre un métier", pour "gagner leur vie", réussir des études pour avoir de l'argent, pouvoir consommer, acheter la dernière Audi, le nouvel i pad, ou un i phone (ils connaissent très bien ces engins à la mode), ils sont déjà dans la peur du chômage, la peur de l'avenir, la peur de la vie. Ils vivent dans une peur constante dès l'école maternelle. Il faut "réussir"...Avoir de l'argent...Cet embrigadement est une abomination, un formatage dont la puissance est sans fin, l'idée aussi que la compétition est une loi humaine, qu'il faut être le meilleur, même dans le sport la notion de jeu passe au second plan, le foot est un modèle surpuissant, gagner des fortunes en tapant dans un ballon, et se payer des call girls, une Ferrari, une maison avec piscine, leurs modèles n'est pas le sportif mais l'homme riche. Quand je parle des aventuriers qui ne gagnent pas un centime, n'ont pas de sponsors, ils s'en détournent, c'est un combat constant pour essayer de leur faire voir une autre vie, d'autres valeurs, un homme et non une réussite sociale...Toutes ces années de soumission passive construisent des citoyens, pas des hommes libres. Ça fait longtemps que je me demande ce que je fais là-dedans... Est-ce que ça sert à quelque chose ? Est-ce que je ne m'illusionne pas en espérant apporter une observation lucide ? Quelques pistes de vie pour qu'un équilibre se fasse.
Mais quand j'entends des enfants en fin d'année scolaire me demander si l'exercice que je leur donne va être noté, je vois bien que rien n'est fait... Est-ce que j'aurai un bon salaire ? On en est toujours là...

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