Aller au contenu

Faire respecter ses droits, sa personne et sa fonction


André Jorge

Messages recommandés

Un professeur de philo rend hommage à la directrice qui s’est suicidée

 
 
Elle s’appelait Renon. Christine Renon. Depuis quelques jours, le monde enseignant est

Elle s’appelait Renon. Christine Renon. Depuis quelques jours, le monde enseignant est ébranlé par son histoire. Elle était directrice d’école à Pantin. Elle s’est suicidée et son corps a été
découvert dans l’entrée de son école, un lundi matin. Un lundi matin. Elle a choisi de révéler sa
décision d’en finir avec la vie à l’heure et au jour de la semaine où l’école commence. Dans l’entrée de son école. L’entrée de l’école est un lieu hautement symbolique. Ce n’est pas qu’un lieu
d’accueil, c’est un rite de passage. Elle a quitté le monde par là où les enfants entrent dans celui de l’école.

Ce qui frappe dans la lettre qu’elle a écrite, c’est la très grande dignité, et -il faut relever le
paradoxe- la très grande force de cette dame qui se dira elle-même « épuisée ». C’est une lettre de
directrice d’école. Elle en a les mots, le vocabulaire, la posture, même. C’est presque un courrier
officiel. De ces offices, malheureusement, qu’on ne remplit qu’on fois, la dernière. Le courrier est à
en-tête de l’éducation nationale, daté du 21/09/2019. Il déclare, à gauche : « Affaire suivie par :
Christine Renon, Directrice d’école. » Il faut se rendre à l’évidence, et rendre ce dernier respect dû
à la personne : ce geste fatal n’est pas l’oeuvre d’une âme solitaire fragile affectée par un malheur
privé. C’est un geste officiel et signé, le geste d’une directrice d’école qui a gardé sa foi mais a
perdu ses forces et finalement sa vie dans l’impossible exercice de ses fonctions.

De fait, une question se pose, terrible, oppressante, mais inévitable : Qu’est-ce qui a tué
Christine Renon ? Dans sa lettre, dernier acte d’une directrice de l’école de la République, elle se
garde bien d’accabler des personnes. C’est tout à son honneur, un honneur qui la suivra jusque dans son geste fatal. Nous aurions pu avoir un dernier cri de rage, de haine, libéré des entraves de la bienséance. Nous aurions pu avoir des injures, des noms d’oiseaux, des accablements, des
accusations ; nous avons une analyse froide, terrible, de son métier, ou plutôt du non-métier qu’il est devenu, une liste à la Prévert des absurdités d’un système qui broie nerveusement les personnes.
La directrice énumère des tâches fastidieuses, chronophages, épuisantes : Mais ce n’est
certainement pas la charge de travail qui a épuisé cette directrice, décrite au contraire comme
extrêmement impliquée et dévouée, c’est le sens où plutôt le non-sens de ce travail. Elle n’a pas été affectée par une trop grande charge de travail. Elle a été brisée par l’absurdité de ces multiples missions, par l’impossibilité de leur donner un sens et par la solitude face à un océan de responsabilités et le manque de reconnaissance. La solitude tue. Le mépris tue. L’absurdité tue. L’insensé tue.

Donnez à un être humain un travail qui n’a aucun sens ; un travail démultiplié en de
nombreuses tâches dont aucune n’a de sens (par exemple, de remplir méticuleusement et
incessamment un carnet, un cahier, un livret, un fichier, un tableur, un formulaire que personne ne
lira) ; laissez sa bonne volonté se briser sur tous ces écueils ; donnez-lui toutes les responsabilités, même les plus perturbantes moralement (comme d’avertir des parents d’une accusation d’attouchement sexuel porté contre leur enfant) ; laissez-le seul face à toutes ces responsabilités ; seul, cela est très important : seul, et qu’il décide de tout dans l’instant ; seul, ne le soutenez pas ; s’il réussit, c’est grâce au système ; s’il échoue, c’est de sa faute ; ne le défendez jamais ; une erreur peut effacer mille succès ; restez sourd aux compliments que l’on porte sur lui ; si on se plaint de lui, accordez-y le plus grand crédit ; s’il se plaint, mettez-le en cause ; s’il alerte, enquêtez sur lui ; culpabilisez-le enfin, culpabilisez-le toujours : vous aurez la recette parfaite pour « épuiser » un être humain au travail et lui ôter sa force vive. Et s’il meurt, jetez sur cette mort une chape de plomb. Au suivant !

Mais ce que révèle cette lettre, ce n’est pas seulement que les conditions de travail de cette
directrice étaient particulièrement difficiles à Pantin : ce n’est pas un seulement cri local, localisé,
circonscrit. Elle révèle l’absurdité d’un système tout entier, une absurdité érigée en système. Les
protocoles, les procédures, les manières, « la violence de l’immédiateté » dont elle parle concernent tout le territoire. Et si l’histoire de cette directrice émeut le monde éducatif, c’est parce que chaque directeur, chaque enseignant, d’école, de collège, de lycée se reconnaît en elle. Car il y a beaucoup de Christine Renon. Et il y en a ici même, sur nos cieux lointains de l’île de la Réunion. Je croise des directeurs, des enseignants, qui me disent avoir été profondément touchés, émus, ébranlés par cette lettre dans laquelle ils se sont tous reconnus.

Terrible conclusion que clame ce courrier : la directrice d’école a été tuée par l’école à qui
elle a donné sa vie, au sens propre du terme. Non pas certes l’école fantasmée et rêvée, mais le
système Kafkaïen qu’elle est selon elle devenue. Un système où plus aucune des tâches assignées n’a de finalité, où les directeurs et les enseignants ne comprennent plus à quoi ils servent, où ils ne se sentent plus reconnus ou soutenus, où ils se sentent parfois méprisés, où les bonnes volontés se brisent sur des procédures déshumanisées, lorsqu’elles ne sont pas implicitement les cibles de l’administration.

Cependant ce système tient, se maintient. Comme une vieille bagnole qui a eu ses heures de
gloire. J’ai connu un ami qui avait réparé sa voiture en démontant son moteur, qu’il avait remonté
en oubliant des pièces. La voiture roulait toujours, et il ignorait à quoi servaient ces pièces. Mais ces pièces oubliées, dans notre école, ce sont des êtres humains, des êtres humains qui crèvent de ne plus savoir à quoi ils servent. « À la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l’on a fait », lit-on dans la lettre. S’il en est ainsi, c’est parce que l’école a cessé d’être une institution pour devenir une machine. Une machine qui fonctionne encore, même en broyant certains de ses meilleurs engrenages. « L’idée est de ne pas faire de vague et de sacrifier les naufragés dans la tempête » écrit encore la directrice. La formule est cinglante, glaçante. Ce pourrait être une triste devise. À inscrire au fronton des instituts de formation des enseignants (INSPE, ex-ESPE, ex-IUFM) : « pas de vague ». C’est en ce sens qu’il ne faut pas inverser le diagnostic : la directrice n’est pas morte parce qu’elle n’allait pas bien ; elle est morte parce que l’école ne va pas bien. La souffrance de cette femme est le symptôme ou le signe d’un système malade ; sa mort en est désormais le symbole.

Malheureusement, il est une autre vérité qu’il faut poser, et qu’il ne fait pas bon poser. C’est que cette mort tragique ne changera rien au système. S’il est une particularité d’un système de type
Kafkaïen (c’est-à-dire qui décrète lui-même ses propres succès et nie ses échecs et leurs
symptômes), c’est la capacité non à se réparer ou à corriger ses failles mais à se retourner contre
tous ceux qui dévoilent ses failles. En ce sens, la lettre rappelle que notre école reste et demeure
l’une des meilleures du monde, à n’en pas douter. C’est en ce sens que le titre de notre article
déclare que la directrice est morte « sans faire de vagues ». Elle ne fera pas de vague salutaire
institutionnelle. Mais il faut toutefois corriger ce titre. Il est urgent de le corriger. Car Madame
Christine Renon, directrice de l’école Méhul de Pantin, est bien morte en produisant une vague, une vague immense, sourde, mais puissante, de celles dont on ignore les destinées : elle a produit une vague d’émotion, émotion sincère, une émotion d’âme à âme, de coeur à coeur, une émotion qui étreint les directeurs, comme elle, les enseignants, les parents, les enfants, une vague dont l’épicentre est à Pantin, 30, Rue Méhul, mais dont les ondes se propagent dans toute la France et dans bien des pensées.

Soutien à la famille. Soutien aux parents. Soutien aux collègues. Je ne sais où vous trouvez
le courage de reprendre le travail dans de telles conditions tragiques ; certainement dans son
exemple. Elle a choisi seule son dernier chemin, mais elle est maintenant votre modèle. Trouvez la force de protéger vos enfants et vos élèves de la tragédie. Notre école ne demeure encore humaine que parce que vous y portez votre humanité.

Thierry LAUDE, professeur de Philosophie

  • J'aime 4
  • Merci 1
  • J'adhère 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Il y a 12 heures, bdisse a dit :

Dans tout ce qui est cité là, y'a quand même un paquet de chose qu'un directeur n'est pas obligé de faire. Et pour le reste, il y a les décharges. Il faut aussi apprendre à dé-lé-guer. Pour le téléphone, il y a le répondeur. Pour le courrier et les appels aux parents, il y a les récrés ; le Kévin, il a un PE qui peut appeler les parents lui-même, et pour le collegue absent, c'est pas au directeur de prendre la classe. Il y a des remplaçants, sinon on réparti dans les classes. Alors oui, directeur, c'est du boulot mais d'une part personne ne t'oblige à prendre le poste et d'autre part il y a des compensations (NBI et prime entre autres) , tu n'es pas obligé de tout faire. Moi, je suis directeur 6 classes, 1/4 de décharge et franchement, je me pète pas une durite tous les jours. Moi, j'en ai assez d'entendre les directeurs déchargés à temps plein se plaindre, ils devraient regarder comment ça se passe dans les classes des adjoints. Ils n'ont pas des journées faciles.

avec toi qui ose tout, on n'est pas prêt d'oublier les citations d'Audiard....:angel_not:

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

il y a 5 minutes, montagny a dit :

avec toi qui ose tout, on n'est pas prêt d'oublier les citations d'Audiard....:angel_not:

A bout d'arguments Montagny ? 🤬

bdisse a parfaitement raison : le directeur n'est pas là pour remplacer les collègues, pas là pour appeler les familles en urgence, bref pas là au service des adjoints même avec une décharge complète.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

15 minutes ago, montagny said:

avec toi qui ose tout, on n'est pas prêt d'oublier les citations d'Audiard....:angel_not:

Alors n'oublie pas ton vogalène !  Reflechis deux minutes. Comment peut-on aimer se faire du mal à ce point là. Tu ne supportes plus la charge que t'impose la direction . Et bien laisse tomber. Tu retournes dans ta classe et basta. Tu refiles le bébé à quelqu'un d'autre. Alors oui, c'est terrible ce qui s'est passé à Meulin mais excuse moi de te dire que c'est surtout un beau gâchis. Aucun travail ne mérite qu'on meurt pour lui.

  • J'adhère 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Bdisse, si tu arrives très bien avec ton quart de décharge à ne pas t'épuiser, je suis contente pour toi, mais je trouve au minimum très délicat de dire aux autres personnes (directeurs et autres) que finalement c’est leur faute si elles n'y arrivent pas. Pour revenir à ton message, et je ne prétends pas faire la liste exhaustive des tâches de direction que tu connais:

Téléphone: répondeur . Oui mais qui relève les messages et suit les affaires (relance, suivi, réponse...) ?

Courrier et appel pendant la récréation: je suis de services comme les collègues pas de passe droit

Répartition des classes: ton "on" c'est qui ? Chez moi ben, c'est moi ! Donc je cours entre la répartition, l'appel à l'inspection, la nouvelle aux parents du collègue absent, la répartition, la gestion avec la cantine et ma propre classe.

Ce ne sont que des exemples bien sûr. Sur la fin, totalement d'accord aucun travail ne mérite qu'on meurt comme lui, mais comme aucun chagrin d'amour, aucun souci financier...On peut le décréter mais que peut-on faire concrètement ? 

  • J'adhère 2
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Il y a 12 heures, bdisse a dit :

Dans tout ce qui est cité là, y'a quand même un paquet de chose qu'un directeur n'est pas obligé de faire. Et pour le reste, il y a les décharges. Il faut aussi apprendre à dé-lé-guer. Pour le téléphone, il y a le répondeur. Pour le courrier et les appels aux parents, il y a les récrés ; le Kévin, il a un PE qui peut appeler les parents lui-même, et pour le collegue absent, c'est pas au directeur de prendre la classe. Il y a des remplaçants, sinon on réparti dans les classes. Alors oui, directeur, c'est du boulot mais d'une part personne ne t'oblige à prendre le poste et d'autre part il y a des compensations (NBI et prime entre autres) , tu n'es pas obligé de tout faire. Moi, je suis directeur 6 classes, 1/4 de décharge et franchement, je me pète pas une durite tous les jours. Moi, j'en ai assez d'entendre les directeurs déchargés à temps plein se plaindre, ils devraient regarder comment ça se passe dans les classes des adjoints. Ils n'ont pas des journées faciles.

Tout à fait d'accord. J'ai connu dans ma longue carrière un grand nombre de directeurs et directrices. Tous avaient beaucoup de boulot, c'est indéniable. Mais certains se noyaient dans un verre d'eau, et d'autres savaient nous laisser faire nous-mêmes les mots pour la piscine, les appels aux parents, les appels à l'orthophoniste et au médecin scolaire, et les compte-rendus des réunions.

A force de dire et d'écrire que la vie d'un directeur est un véritable enfer, certains ont fini par le croire. Personne n'est obligé de prendre une direction, tout de même...

Je me souviens d'une directrice qui m'a remonté les bretelles devant toute l'équipe parce que j'avais corrigé au blanco le planning des services du couloir, qui était erroné pour ce qui me concernait. "Tu veux prendre ma place ?". 

Je pense à certains autres qui se débattaient avec la bureautique, qui ne savaient pas utiliser les fonctions les plus simples de word et d'excel. Pourquoi ne pas demander à un adjoint qui s'y connaît ? (moi, en l’occurrence). Ben non, ça fait des années que je retape mes listes d'élèves, parce que pas un n'a trouvé comment exporter une liste de base élève. 

J'ai actuellement une directrice vraiment top. Je ne la vois pas passer ses nuits à l'école. Elle a de nombreuses activités sportives et culturelles, et deux enfants d'âge scolaire. Il n'y a pas que des situations désespérées de directeurs au bord du burn out. 

  • J'adhère 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

il y a 18 minutes, bdisse a dit :

Alors oui, c'est terrible ce qui s'est passé à Meulin

Que s'est-il passé à Meulin ?

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

il y a 11 minutes, maolecha a dit :

 

Courrier et appel pendant la récréation: je suis de services comme les collègues pas de passe droit

Répartition des classes: ton "on" c'est qui ? Chez moi ben, c'est moi ! Donc je cours entre la répartition, l'appel à l'inspection, la nouvelle aux parents du collègue absent, la répartition, la gestion avec la cantine et ma propre classe.

 

Aucune obligation pour un directeur de surveiller les récrés. Et la cantine ne fait pas partie de nos attributions. 

A part ça, une entreprise où le personnel "se met" souvent en maladie, c'est une entreprise avec une mauvaise ambiance. On doit pouvoir travailler là-dessus. Je ne dis pas que c'est dû au directeur, loin de là. Mais quand l'ambiance est bonne, c'est qu'on a un bon directeur. C'est un peu le père de famille d'une école. 

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Cela m'intéresse,  (même si je trouve important pour moi, pas de cas général, d'être dehors avec mes collègues pour ne pas être "coupée" de la vie de l'école et être au contact avec mes élèves de cP) le directeur n'a pas à assurer comme ses collègues la surveillance de recréation ? Il peut ne pas figurer sur le planning des services ?

Pour la cantine, cela dépend des communes: l'annulation du repas doit être faite rapidement et il faut bien une liste des élèves répartis au service périscoalire. Je peux aussi dire on laisse faire et regarder le bazar monumental.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Pour ce qui est de la direction d'école, pour avoir exercé la fonction (dans des temps où il y avait moins de tracas pourtant), ce ne sont pas les charges "pratiques" qui usent mais principalement ... les collègues : ceux qui t'expliquent continuellement ce que tu dois faire et ne pas faire, qui refusent d'appliquer les textes et qui, quand tu es fatiguée et l'exprimes, quand tu leur refuse d'appliquer le "droit coutumier" à la place de la loi, te répliques que tu n'avais qu'à pas embrasser la fonction puisque tu n'es visiblement pas faite pour ça.

Donc je suis très choquée que des collègues, sur un sujet traitant du respect, qui plus est après un événement aussi tragique, se permettent des commentaires aussi moches.

S'il vous plait, allez en discuter ailleurs.

  • J'adhère 1
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

il y a 8 minutes, edithw a dit :

Aucune obligation pour un directeur de surveiller les récrés. Et la cantine ne fait pas partie de nos attributions. 

A part ça, une entreprise où le personnel "se met" souvent en maladie, c'est une entreprise avec une mauvaise ambiance. On doit pouvoir travailler là-dessus. Je ne dis pas que c'est dû au directeur, loin de là. Mais quand l'ambiance est bonne, c'est qu'on a un bon directeur. C'est un peu le père de famille d'une école. 

Voilà !

Ici les directeurs sont tous aussi directeurs sur le temps de cantine et périscolaire (facultatif) , rémunérés par la mairie. Alors quand ils militaient pour qu'eux ne fassent pas l'APC, comment dire ...  ? Je trouvais ça indécent.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Créer un compte ou se connecter pour commenter

Vous devez être membre afin de pouvoir déposer un commentaire

Créer un compte

Créez un compte sur notre communauté. C’est facile !

Créer un nouveau compte

Se connecter

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous ici.

Connectez-vous maintenant
  • En ligne récemment   0 membre est en ligne

    • Aucun utilisateur enregistré regarde cette page.
×
×
  • Créer...